Le bon Samaritain de l’Evangile ne rase pas gratis

lundi 21 septembre 2015
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Immigrants : Sortir de la « sidération » et du déni de la réalité, prendre conscience que le bon Samaritain de l’Evangile ne rase pas gratis



« Je dis « moraline » parce qu’il n’y a pas de meilleur mot pour signifier cette morale auto-satisfaite et inconséquente qui anime l’âme creuse de la bien-pensance. Je dis « fausse charité » parce que la charité authentique est intégrale, elle inclut la justice, la vérité, la prudence, la responsabilité.

Le bon Samaritain ne rase pas gratis, il pense aux conséquences et aux conditions concrètes de sa charité : il paie l’aubergiste et s’engage sur la durée, lui promettant une rallonge pour ses surcoûts et faux-frais. Le bon Samaritain n’a pas dit à l’aubergiste : « Voici, prends l’indigent et montre-toi charitable comme je l’ai été, courage, je prierai pour toi ».

Le bon Samaritain est charitable ET responsable. Sa manière d’agir n’est pas une posture morale

Gardons les pieds sur terre, comme le Samaritain, et articulons les choses : répondre généreusement à l’appel du pape François est une excellente disposition pour les fidèles, mais ne constitue pas en soi une politique pour les États. Il faut nécessairement distinguer et articuler les deux ordres, sans les opposer. Le pape a appelé les paroisses à poser un acte concret et accessible : accueillir une famille de réfugiés. Il n’a pas appelé à renoncer au politique.

Que chacun se rassure, le pape François connaît sa doctrine sociale sur le bout des doigts : il est juste d’accueillir des réfugiés dans une mesure proportionnée à nos capacités ; et il est légitime pour les Etats d’appliquer une politique migratoire de contrôle aux frontières, dans le respect de la dignité humaine. Non seulement cette doctrine ne varie pas, mais encore recèle-t-elle une sagesse politique et humaine de brûlante actualité. Les critiques adressées récemment au pape et à l’Eglise, y compris chez des catholiques, sont donc infondées, mais elles sont le symptôme d’une profonde désorientation de l’esprit public.

L’esprit public désorienté

D’où vient cette désorientation ? Elle est générée par cette folle sidération et la déraison des gens raisonnables. Les personnes modérées qui voudraient le bien sont en quelque sorte tétanisées par la crainte de nommer le réel. C’est pourquoi elles tendent à se retrancher dans une moraline « hors-sol ». Dans le même temps se déploie, sur les réseaux sociaux et les sites d’information alternatifs, un discours du « choc » et du « chaos » qui installe frénétiquement une atmosphère délétère de pré-guerre civile. Le problème, c’est que ce discours de pré-guerre civile aura toujours davantage d’influence que la moraline, précisément parce qu’il s’appuie sur certains aspects du réel pour faire prendre une « sauce » particulièrement anxiogène.
Alors, les gens raisonnables se contentent de disqualifier ce « camp du mal », mais sans s’appuyer sur le réel.

Ainsi, le « N’ayez pas peur ! » d’une personne bienveillante qui évite soigneusement de nommer le réel devient inaudible, voire puissamment anxiogène. Un authentique « N’ayez pas peur ! » doit s’accompagner d’une perspective politique concrète. Une politique migratoire requiert notamment un aspect quantitatif (il ne peut y avoir d’accueil illimité), mais aussi qualitatif.

On ne peut faire l’économie d’une distinction entre les différents types de migrations : réfugiés de guerre, demandeurs d’asile politique, migrants économiques. Comment ignorer la nécessité d’une telle réflexion ? Un réfugié de guerre et un demandeur d’asile s’inscrivent dans une perspective d’immigration temporaire ; un migrant économique s’inscrit dans une perspective durable, c’est une immigration de peuplement.

Pour chacune de ces situations, ce ne sont pas les mêmes questions qui se posent, les mêmes risques qui se présentent, les mêmes moyens qui sont à mettre en œuvre. Parlons de cela sans crainte de subir l’anathème, ayons le courage de parler de politique migratoire concrète, dont les frontières constituent l’un des outils incontournables.

Faire reculer le maelström anxiogène implique, paradoxalement, de nommer la gravité de cette crise, de reconnaître qu’elle survient au cœur d’un grand désordre mondial, dans le contexte complexe et risqué d’une mutation historique, notamment au plan géopolitique et démographique. Dans un tel contexte, il sera toujours plus inquiétant de nier les dangers que de les reconnaître sans faux-semblants en affichant une volonté forte de les affronter. N’ayons donc pas peur de poser les questions les plus brûlantes, ces questions « casse-gueule » qui font peur.

Mettre les sujets brûlants sur la table

Prenons l’exemple ultra-sensible de la question démographique, qui est dans toutes les têtes mais que les gens raisonnables maintiennent souvent dans le non-dit. Quand Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, affirme « Nous sommes un continent vieillissant, en déclin démographique ; nous aurons besoin de talents venant du monde entier. »[1], il accrédite l’idée que c’est un projet politique de l’UE que de renouveler en profondeur la population vieillissante de l’Europe en s’appuyant sur des populations jeunes et nombreuses issues d’autres continents.

Chacun sait que ces populations ont une autre culture et, majoritairement, une autre religion, notamment cet islam qui fait si peur aujourd’hui. Si nous ne mettons pas ce débat sur la table, nous laissons les théoriciens du « grand remplacement »[2] déployer – sans concurrence – le réel sous leur angle pré-chaotique. Ils gonflent une réalité que les autres nient. Ne nous y trompons pas : c’est in fine le déni de la réalité qui se voit comme le nez au milieu de la figure, bien davantage que son gonflement.

Comment imaginer que ces paroles de Jean-Claude Juncker ne soient pas une source d’angoisse pour des peuples européens qui se savent en effet vieillissants ? Comment imaginer que ces paroles – qui correspondent à une réalité – ne plongent pas dans le désarroi une jeunesse qui comprend ainsi que ses aînés ne comptent plus sur elle pour assurer l’avenir démographique de nos pays ? Comment imaginer que cette jeunesse puisse adhérer au projet mortifère d’une Europe qui se montre incapable d’envisager un sursaut, incapable de déployer l’élan vital premier qui consiste à faire suffisamment d’enfants pour continuer à vivre en tant qu’Europe ? Ce n’est pas en ignorant ces questions que nous réorienterons sainement l’esprit public. »

Guillaume de Prémare
(extraits)

Source

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