Derrière cette crise de confiance une crise de civilisation

vendredi 25 janvier 2019
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Mgr Centène : derrière cette crise de confiance, une crise de civilisation



Vœux de Monseigneur Centène au diocèse, le samedi 19 janvier 2019 :

« Cher Père Mayeul, je vous remercie pour les vœux que vous venez de formuler au nom du Chapitre de tout le diocèse. Je vous remercie d’avoir choisi comme intercesseur l’Apôtre saint Pierre, patron de notre église cathédrale. Le fait que 66 paroisses de notre diocèse sur 300 lui soient dédiées est le signe de l’attachement que l’Église de Vannes a toujours montré à l’égard de l’Église-mère, celle de Rome, depuis saint Patern, le seul évêque gallo-romain parmi les sept évêques fondateurs de la Bretagne catholique, que nous honorons tous les ans en marchant sur les chemins du Tro Breiz.

Si, comme vous l’avez si justement rappelé en citant le Catéchisme de l’Église Catholique, les saints sont nos intercesseurs auprès de Dieu et veillent sur nous, ils sont aussi pour nous des modèles.

« Dans leur vie, tu nous procures un modèle, dans la communion avec eux une famille et dans leur intercession un appui » chante l’une des préfaces de la messe.
Quelles leçons saint Pierre nous donne-t-il aujourd’hui ? En quoi est-il pour nous un modèle ?

Dans sa première épitre, après avoir présenté l’Église comme « une descendance choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple destiné au salut », il nous dit comment nous comporter dans la société des hommes : « Ayez une belle conduite parmi les gens des nations ». Et il détaille quelle doit être notre conduite à l’égard des autorités, dans les rapports sociaux, dans la vie familiale et entre chrétiens. À la différence des Esséniens qui se coupaient du monde et qui ont disparu, le chrétien vit dans une société dont il est solidaire car du bien de la société dépend aussi le bien de chacun. Le bien de chacun s’inscrit dans le bien commun.
Aussi, en cette année 2019, je souhaite à notre société et à notre pays la prospérité, la justice, la consolidation du lien social, une croissance qui ne soit source ni d’un surcroit d’inégalité entre les hommes, ni de mise à mal de notre environnement. Je souhaite à notre société et à notre pays de pouvoir se construire sur des valeurs qui soient à même de rassembler les citoyens dans le respect mutuel.

Ces vœux sont aisés à formuler mais nous savons, vous et moi, qu’ils ne pourront se réaliser qu’avec l’engagement de tous et de chacun, et sûrement pas sans quelques sacrifices joyeusement consentis. Saint Pierre nous le dit encore :« Exultez de joie, même s’il faut que vous soyez affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ».

1) Les vœux que je vous présente aujourd’hui nous permettent de jeter un long regard sur la société dans laquelle saint Pierre a voulu que les chrétiens fussent véritablement intégrés au nom même de leur foi : « Soyez soumis à toute institution humaine à cause du Seigneur ».

Notre société est gravement fragilisée et par-delà les revendications, parfois contradictoires, des désormais célèbres “Gilets Jaunes” – contradictoires parce qu’on ne peut pas avoir en même temps plus de services et payer moins d’impôts – nous sommes les témoins de l’expression d’un malaise très profond qui, au-delà même de la fracture sociale, relève d’une crise de confiance et d’une crise de civilisation.
Les troubles sociaux qui traversent notre pays et qui s’expriment aujourd’hui pour la dixième fois consécutive révèlent une profonde détresse. Beaucoup de nos concitoyens souffrent et ont le sentiment d’être oubliés et incompris. Ils ne se sentent plus rejoints dans leurs préoccupations, ils ne font plus confiance, ils se sentent trompés, manipulés, spoliés, méprisés. Cela engendre la colère et la violence.
Mais derrière cette crise de confiance, nous voyons se dessiner une crise de civilisation parce qu’une crise de sens, causée par un déficit anthropologique. La conception individualiste qui prévaut aujourd’hui conduit à une impasse.
Dans une société individualiste, si ces deux termes peuvent être rapproché ssans constituer un oxymore, les lois ne servent qu’à équilibrer les forces contraires, équilibre toujours précaire et fragile.

Après le Bien commun, l’intérêt général lui-même a disparu dans la foire d’empoigne des intérêts particuliers antagonistes. L’évocation des droits de l’homme ne sert bien souvent qu’à garantir des revendications libertaires et mortifères. Aucune vision commune ne semble permettre aux Français de se mobiliser pour construire un avenir meilleur en acceptant les sacrifices indispensables à toute construction.
Les premiers défis de 2019 et des années qui suivront seront de donner une vision à notre société. Cela ne peut se faire sans une juste anthropologie.
L’Être humain n’est pas seulement un individu, certes il est unique, mais ilest relié. De par sa nature même il est un animal politique. Sa dimension relationnelle apparait comme l’une de ses caractéristiques fondamentales.

Il ne peut s’épanouir que dans des relations interpersonnelles désintéressées, c’est-à-dire dans des relations de confiance.

Cet épanouissement n’est pas possible parce que ces relations de confiance ne peuvent pas s’établir lorsque les mots cachent la vérité au lieu de la dire, lorsque le relativisme semble laisser entrevoir la possibilité de vérités successives et contradictoires, lorsque le dialogue ne repose pas sur des critères objectifs.
Déjà en 2016, à travers un texte intitulé “Dans un monde qui change retrouver le sens du politique”, le Conseil Permanent de la Conférence des Évêques de France dénonçait le déficit de dialogue dans notre société, le déficit de l’écoute qui font que les idées ne se confrontent sans véritable débat. Des hommes et des femmes juxtaposés semblent se côtoyer alors que chacun est enfermé dans sa propre bulle, celle de ses préoccupations, de son égo, de ses réseaux. Or nous le savons bien, le manque de dialogue conduit à la confrontation.

Lorsque ce manque de dialogue accompagne la vie familiale et toute l’éducation, cette violence devient endémique et peut à tout moment éclater dans l’expression d’un “réensauvagement” qui ne peut être que difficilement contenu.
Le débat, même si on le veut grand, national ne peut reposer que sur une culture du dialogue et cette culture est longue à acquérir. L’Histoire nous montre qu’il faut des siècles pour construire une civilisation et que quelques décennies suffisent à son réensauvagement.

Redonner une vision à notre société suppose la création ou la restauration du lien social, la politique de la main tendue, l’attention à l’autre, la perception que la fragilité, la vulnérabilité sont au cœur de l’homme.

Je crois que notre Église, nos paroisses, nos communautés, nos mouvements, la diaconie diocésaine peuvent jouer un grand rôle dans l’indispensable développement de cette culture de l’attention, de l’écoute et du dialogue. N’est-ce pas dans les gènes de l’Église, dans son A.D.N. ? S’il est vrai que Dieu a créé le monde par sa Parole, alors que nos paroles servent aussi à le conserver dans l’harmonie.

Le deuxième aspect de l’être humain, c’est sa nécessaire ouverture à la transcendance. Saint Pierre l’affirme dans sa première lettre lorsqu’il nous dit que« Dieu nous a fait renaitre d’une semence impérissable, sa parole vivante qui demeure ». C’est ce qui faisait dire à Pascal que « l’homme passe infiniment l’homme » et que s’il est fragile comme un roseau, « il est un roseau pensant ».

C’est ce qui fonde la dignité inaliénable de la vie humaine. Demain la Marche pour la Vie, soutenue par le Pape François et de nombreux évêques, nous rappellera cette dimension essentielle.

Le troisième aspect de l’être humain, c’est la nécessité de se comprendre dans le réalisme de ses limites, de sa finitude et de l’éternité.

Dans l’évangile de saint Jean, Jésus dit à Pierre : « Quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller ».

Le mythe prométhéen du surhomme ou de l’homme augmenté, que veut nous promettre la science, est un puissant facteur de déshumanisation.

2) Pierre est celui à qui Jésus a dit « Tu es Pierre et sur cette Pierre je bâtirai mon Église et les puissances de l’enfer ne prévaudront pas contre elle ».

Il est aussi celui qui par trois fois a renié le Christ, sans que prévalent lesportes de l’enfer et sans que le Christ reprenne ses promesses.

Mes vœux se tournent aujourd’hui vers l’Église universelle. La crise qu’elle traverse est une épreuve de vérité que nous devons accepter avec espérance et humilité.
Depuis quelques années elle prend conscience d’un mal qui la ronge en silence et elle a décidé de faire un travail de vérité concernant les abus commis par certains de ses ministres en contradiction totale avec le message qu’elle annonce.

Nous devons accepter ce travail de purification, de conversion pour retrouver la crédibilité et être à même d’annoncer la Bonne Nouvelle du salut.

Le Pape François nous invite à remettre en cause certaines habitudes cléricales au sens le plus mauvais du terme : l’abus d’autorité.

Saint Pierre l’a devancé dans cette exhortation : « Quant aux anciens en fonction parmi vous, je les exhorte, moi qui suis ancien comme eux et témoin des souffrances du Christ, communiant à la gloire qui va se révéler : soyez les pasteurs du troupeau de Dieu qui se trouve chez vous ; veillez sur lui, non par contrainte mais de plein gré, selon Dieu ; non par cupidité mais par dévouement ; non pas en commandant en maîtres à ceux qui vous sont confiés, mais en devenant les modèles du troupeau ».
3) De l’Église universelle mes vœux glissent vers notre Église particulière, l’Église de Vannes.

Depuis le mois de mars dernier, elle est engagée dans une année jubilaire autour de la haute figure saint Vincent Ferrier, dont nous célébrons le 6e centenaire de la venue en Bretagne et du départ vers le Ciel.

Ce jubilé nous permet de revenir à quelques fondamentaux que j’ai mis en évidence dans ma lettre pastorale et qui sont d’une grande actualité :

– la nécessité de la conversion ;
– l’amour de l’unité de l’Église qui passe parfois par le sacrifice de nos
opinions personnelles ;
– la mission d’évangélisation ;
– l’importance de la redécouverte du sens du sacré et de la transcendance ;
– l’attente confiante des fins dernières comme sens ultime de nos existences et de nos actions. »

Source :

info catho