Agression de catholiques à Nanterre : « Un symptôme du délitement de la nation »

jeudi 16 décembre 2021
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Agression de catholiques à Nanterre : « Un symptôme du délitement de la nation »



« FIGAROVOX/TRIBUNE - Le 8 décembre, une trentaine de fidèles de la paroisse des Fontenelles a fait l’objet de menaces de mort et d’insultes. Entre un islam travaillé par des forces de haine et un État faible, la situation des catholiques français est préoccupante, analyse David Gilbert.

Normalien, agrégé d’histoire, docteur en théologie et en histoire, David Gilbert enseigne l’histoire de l’Église à l’Institut catholique de Paris et à la Maison de formation de la Communauté Saint-Martin à Évron (Mayenne).
Faut-il croire que processionner devient une activité à risque pour les catholiques en France ? Après l’agression de la procession organisée le 29 mai dernier dans le XXe arrondissement de Paris pour commémorer pacifiquement l’exécution sommaire d’une cinquantaine d’otages durant les derniers jours de la Commune de Paris, c’est une modeste procession mariale qui a dû être interrompue le 8 décembre à Nanterre. Dans les deux cas, naturellement, la manifestation avait été dûment déclarée par les organisateurs et autorisée par les pouvoirs publics.

La similitude des situations n’est toutefois qu’apparente. La procession du 29 mai à Paris rassemblait environ 300 personnes à l’occasion du 150e anniversaire de la mort tragique des otages rue Haxo, dans le contexte non moins tragique de la « Semaine sanglante » qui vit l’écrasement de la Commune de Paris par les troupes du gouvernement alors installé à Versailles. Les personnes qui perturbèrent la procession de mai dernier étaient des militants « antifascistes » se réclamant de la mémoire de la Commune, et assimilant les pèlerins catholiques de 2021 aux « Versaillais » de 1871. Les cris proférés par ces contre-manifestants étaient d’une violence inattendue : « À bas », voire « à mort les Versaillais ! »

Cette petite procession a cependant été jugée elle aussi insupportable par un groupe d’une dizaine de musulmans qui ont proféré des injures et des appels au meurtre, l’un d’eux s’emparant même du flambeau de l’un des pèlerins catholiques pour le jeter sur le groupe, geste d’une particulière violence.

La procession du 8 décembre à Nanterre ne s’inscrivait aucunement dans un contexte mémoriel comparable : il s’agissait simplement de célébrer, comme tous les ans à pareille date, la solennité de l’Immaculée Conception, l’une des fêtes mariales les plus importantes du calendrier liturgique catholique, qui commémore la plénitude de sainteté accordée à Marie dès le premier instant de sa conception lors de l’union de ses parents. Dans certains pays fortement marqués par la foi catholique, ce jour est férié. En France comme partout dans le monde, de nombreuses paroisses et institutions catholiques sont placées sous le patronage de l’Immaculée Conception, comme cette paroisse des Fontenelles à Nanterre qui ne faisait que célébrer sa fête patronale. Le cortège ne comptait qu’une trentaine de personnes.

Cette petite procession a cependant été jugée elle aussi insupportable par un groupe d’une dizaine de musulmans qui ont proféré des injures et des appels au meurtre, l’un d’eux s’emparant même du flambeau de l’un des pèlerins catholiques pour le jeter sur le groupe, geste d’une particulière violence.

Il faut bien dire, en effet, qu’il s’agissait de musulmans. C’est malheureux, mais c’est ainsi. Le mot kouffar (kafir au singulier), qui a été lancé contre les pèlerins catholiques, est un mot arabe habituellement traduit par « mécréants » et désignant assez souvent, dans un contexte évidemment très polémique, ceux qui n’adhèrent pas à l’islam. La menace d’égorgement, qui a été proférée, parle aussi d’elle-même, hélas, à l’exemple des attentats perpétrés en Europe ces dernières années ou des horribles mises en scène terroristes comme l’exécution des vingt et un chrétiens coptes sur la côte libyenne en 2015 (l’égorgement pouvant aller, là comme ailleurs, jusqu’à la décapitation). Parlent aussi d’elles-mêmes, dans un pareil contexte, les exclamations « wallah » (littéralement « par Dieu », mot le plus souvent anodin, devenu presque un tic en arabe parlé, voire en français chez les jeunes issus de l’immigration maghrébine) ou « sur le Coran », comme formules de serment. Il est absolument évident que l’écrasante majorité des personnes de nationalité française ou séjournant en France qui, d’une manière ou d’une autre, se reconnaissent comme musulmanes ne peut qu’être consternée et dégoûtée par une telle agression. Celle-ci est d’ailleurs d’autant plus étonnante que la figure de Marie, l’une des plus importantes du corpus coranique, se prête plus facilement au dialogue spirituel entre chrétiens et musulmans que d’autres figures présentées très différemment dans le corpus néotestamentaire et dans le corpus coranique – à commencer par Jésus, auquel on identifie souvent de manière hâtive celui que les textes coraniques appellent ’Isa, nom autre que celui de Jésus chez les chrétiens de langue arabe (Yasu).

Cependant, il est aussi évident que les agresseurs du 8 décembre entendaient agir au nom de l’islam. Affirmer qu’une telle haine « n’a rien à voir avec l’islam », ou la relativiser sous prétexte que d’autres traditions religieuses que l’islam (mais aussi d’autres formes d’organisation politique, antireligieuses ou pseudo-religieuses comme les totalitarismes du xxe siècle) peuvent servir de prétexte à la violence, ne fait qu’occulter la réalité présente, hélas têtue : l’islam est travaillé aujourd’hui à grande échelle par des forces de haine multiformes particulièrement meurtrières, comme aucune autre tradition religieuse dans le monde. Des chrétiens, des juifs, des athées, mais aussi, en plus grand nombre, des musulmans en sont victimes de manière quotidienne. Si les critères démographiques peuvent conduire à considérer l’islam comme une religion en expansion, d’autres critères, plus qualitatifs si j’ose dire, peuvent aussi conduire à s’interroger sur les maux qui le rongent de l’intérieur, qui font souffrir de nombreux musulmans eux-mêmes à travers le monde, et qui se laissent voir brutalement jusque dans un fait divers comme celui du 8 décembre à Nanterre.

- La République est-elle l’instance suprême, la Mère toute-puissante en quelque sorte, qui organise le « vivre ensemble » de « communautés » de croyants qui ne seraient, finalement, que des associations de second ordre par rapport à la « communauté nationale » ?

Face à cette haine qui s’exprime publiquement, le remède réside-t-il dans la laïcité républicaine ? Il est permis d’en douter. Tout en présentant inlassablement, de manière quasi incantatoire, la laïcité comme un « rempart » (image hélas évocatrice !), les autorités de la République française n’ont guère d’autre solution pratique à proposer que de renforcer la présence policière aux abords des églises, comme c’est le cas depuis longtemps, malheureusement, pour les synagogues et les écoles juives – une présence policière d’un autre type étant assurée près de certaines mosquées…
Bien plus qu’une solution, le discours officiel sur la laïcité est un élément supplémentaire du problème. Comme l’ont montré les travaux de Vincent Peillon, la laïcité est élaborée à la fin du XIXe siècle, sous l’impulsion décisive de Ferdinand Buisson, comme une nouvelle forme de religion civique, et non comme un cadre du « vivre ensemble », selon le discours qui prévaut actuellement : un tel discours, moins exclusif et plus « hospitalier », est le fruit d’une série de transformations de la laïcité à la française au cours du XXe siècle que des chercheurs comme Jean Baubérot et Philippe Portier ont su mettre en lumière.

Par-delà ces transformations toutefois, un problème grave reste entier : la République est-elle l’instance suprême, la Mère toute-puissante en quelque sorte, qui organise le « vivre ensemble » de « communautés » de croyants qui ne seraient, finalement, que des associations de second ordre par rapport à la « communauté nationale » ? La plupart des responsables politiques, de la gauche de la gauche jusqu’à la droite de la droite, revendiquent fortement cette conviction, quasiment sacrée. Mais une telle conception se heurte à la faiblesse de fait de la République – faiblesse qui n’est pas d’abord celle de ses forces de police, mais celle de sa capacité d’attraction symbolique, de son aptitude à mobiliser, à enthousiasmer, comme le montrent de manière à la fois symptomatique et paradoxale les invocations de plus en plus envahissantes de la République, de ses « valeurs », de ses « principes ». Tous les discours et programmes de lutte contre la « radicalisation » illustrent dramatiquement ce malentendu insoluble, alors même que ce à quoi bien des jeunes – et aussi de moins jeunes ! –, aujourd’hui comme hier et comme demain, aspirent avec ardeur, ce n’est pas à la modération, mais à la radicalité, à l’idéal, à l’absolu.

Surtout, cette maternité suprême de la République est hautement problématique par sa dimension potentiellement exclusive, voire idolâtrique. Le citoyen croyant se voit mis en demeure non seulement de considérer sa foi ou sa croyance ou sa religion comme relevant strictement du domaine privé – ce qui est une affirmation fréquente dans le débat politique, mais absolument irréaliste et impraticable dans la vie concrète de la société. Outre cela, l’on enjoint au citoyen croyant de ne reconnaître à l’intime de sa conscience aucune filiation spirituelle qui puisse être, d’une manière ou d’une autre, supérieure, ou plus essentielle, ou plus déterminante pour sa vie ici-bas et au-delà, que l’appartenance au corps civique. Or, si l’autorité publique exige un tel assentiment au nom de la laïcité, elle ne rencontrera qu’incompréhension, opposition, indifférence ou hostilité chez beaucoup, irréductiblement, car une telle exigence est abusive, potentiellement totalitaire.

Dans de telles conditions, entre un islam travaillé par des forces de haine, en croissance numérique mais souffrant de multiples, profondes et violentes divisions, et une République à la fois faible et démesurément exigeante dans ses prétentions idéologiques, la situation présente des catholiques français, eux-mêmes éprouvés par la tourmente actuelle de l’Église, est tout sauf confortable. Il leur est loisible de considérer que celui qu’ils adorent comme Dieu devenu homme, et dont ils s’apprêtent à célébrer la naissance dans une dizaine de jours, est venu au monde dans la pauvreté d’une étable, couché dans une mangeoire qui n’était certainement guère confortable. Les catholiques peuvent aussi se rappeler que ce même Dieu fait homme a terminé sa vie terrestre clouée sur une croix, et qu’il n’a aucunement promis à ses disciples le succès durable, paisible et incontesté qu’il n’a jamais lui-même obtenu. Forts d’une telle foi, qui est lumière dans les épreuves, telle la Résurrection dans l’obscurité de la nuit de Pâques, les catholiques peuvent et doivent aussi s’élever contre l’injustice et les forces de mort, nommer les dangers et assumer ainsi un rôle de veilleurs et d’éveilleurs des consciences, sans attendre vainement que d’autres le remplissent. »

David Gilbert

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le figaro vox