La négation des racines chrétiennes de l’Europe est une contre-vérité
Maxime Tandonnet décrypte chaque semaine l’exercice de l’État pour FigaroVox
« Pierre Moscovici, commissaire européen en charge de l’économie, a déclaré le 8 mai qu’il ne « croyait pas aux origines chrétiennes de l’Europe ». Le débat n’est pas nouveau. Il avait dominé les travaux de rédaction de la « Constitution européenne » en 2005. A l’époque, la France et le président Jacques Chirac étaient en pointe du refus d’inscription de cette notion dans le texte, s’opposant à la Pologne, l’Italie, l’Allemagne. Finalement, l’idée d’inscrire les racines chrétiennes dans la Constitution européenne avait été écartée. Puis, cette dernière avait été rejetée par les référendums français de mai et hollandais de juin 2005.
D’un point de vue historique, la négation des racines chrétiennes de l’Europe est une contre-vérité. L’Europe est née sur les ruines de l’empire l’Empire romain dont le christianisme était devenu la religion officielle à la suite de la conversion de Constantin en 312. Elle est issue d’une longue épreuve d’affrontement entre des peuples germains convertis au christianisme pour la domination politique sur le continent. Le baptême de Clovis en 532, puis l’alliance des Carolingiens avec le pape ont constitué des étapes décisives de l’apparition de l’Europe. L’Empire de Charlemagne, proclamé en 800, qui couvre grosso modo un territoire correspondant à l’Europe occidentale, se confond avec la chrétienté. Il en est le protecteur et le bras armé. Il se donne pour objectif la conversion des peuples voisins (saxons, Frisons, Avars) et le début de la reconquista de l’Espagne musulmane.
Quand M. Moscovici affirme « ne pas croire aux racines chrétiennes de l’Europe », il se situe sur un terrain inapproprié. Le sujet ne relève pas de la croyance mais du savoir.
Jusqu’au XVIIIe siècle, pendant au moins treize siècles, le christianisme est, de fait, le ciment des sociétés européennes. Dans les périodes obscures du Moyen-âge, de chaos, d’invasions, de destructions, le savoir est préservés dans les monastères et les abbayes. Les croisades pour la reconquête des « lieux saints » obsèdent les esprits pendant deux siècles. La légitimité du monarque est « de droit divin ». La féodalité est soudée par des liens de vassalité, d’essence religieuse. Le christianisme et ses rituels imprègnent profondément la vie quotidienne. Le clergé dispense l’enseignement, soigne les malades, assiste les pauvres, encadre l’existence quotidienne. L’intervention divine est l’explication de tout événement : épidémie, guérison, bonne ou mauvaise récolte, défaite ou victoire militaire... D’ailleurs, s’il est une caractéristique commune au patrimoine architectural de l’Europe, c’est bien la présence partout des églises.
Quand M. Moscovici affirme « ne pas croire aux racines chrétiennes de l’Europe », il se situe sur un terrain inapproprié. Le sujet ne relève pas de la croyance mais du savoir. De fait, il prononce des paroles de nature idéologique. Il porte un jugement personnel sur une question qui est de l’ordre factuel. Dans son esprit, la négation des racines chrétiennes de l’Europe vaut reconnaissance du caractère multiculturel de l’Europe et de sa vocation à intégrer la Turquie. Il opère une confusion, classique, entre histoire et idéologie. Or les deux ne sont pas forcément liées. Rien ne l’empêcherait d’admettre la vérité historique - l’Europe a des racines chrétiennes - et d’ajouter que de son point de vue, l’Europe doit changer, poursuivre sa déchristianisation et sa marche vers une société multiculturelle.
De fait, la négation de l’histoire, au sens de la connaissance des faits, du passé, des racines, est devenue l’un des piliers de l’Europe moderne. Il n’est pas innocent que l’histoire chronologique ait été largement bannie de l’enseignement et des manuels scolaires. La droite au pouvoir n’est pas exempte de tout reproche. N’a-t-elle pas supprimé en 2010 l’enseignement de l’histoire en terminale scientifique au prétexte d’un rééquilibrage entre les filières ? Aujourd’hui, le latin et le grec disparaissent du programme des collèges. La « mémoire » n’existe que pour aviver la mauvaise conscience. La connaissance de l’histoire, voire la simple curiosité historique, factuelle, bien au contraire, paraissent vouées à s’effacer. La logique dominante est celle de la table rase, héritée des idéologies totalitaires du XXe siècle. L’entreprise de déculturation bat son plein : l’histoire politique et littéraire, les langues anciennes, l’orthographe. L’idéal, conscient ou inconscient, est d’engendrer peu à peu un homme neuf, un Européen parfait, apuré de son patrimoine culturel, religieux, intellectuel. C’est-à-dire un homme réduit à sa fonction de consommateur et d’agent économique, privé des outils de l’esprit critique et qui se prêtera plus facilement à toutes les manipulations idéologiques y compris extrémistes, de droite comme de gauche. »
Maxime Tandonnet
Maxime Tandonnet décrypte chaque semaine l’exercice de l’État pour FigaroVox. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont Histoire des présidents de la République, Perrin, 2013. Son dernier livre Au coeur du Volcan, carnet de l’Élysée est paru en août 2014. Découvrez également ses chroniques sur son blog.