L’Enfant Jésus est né

jeudi 3 janvier 2019
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Comment notre monde a-t-il cessé d’être chrétien ? Une rupture de civilisation
Et pourtant demeure un motif d’espérance car l’Enfant Dieu Sauveur est bien né



« En ce temps de Noël, où nos yeux de chrétiens sont fixés sur la figure de l’Emmanuel qui vient illuminer notre monde, il nous est difficile d’éluder la question de la déchristianisation qui s’est produite, notamment en France, dans la période des années soixante. Les historiens s’accordent même sur la date de 1965, comme repère d’un phénomène de brusque rupture de la pratique religieuse. Guillaume Cuchet a publié à ce sujet un maître ouvrage, l’année dernière : Comment notre monde a cessé d’être chrétien. Anatomie d’un effondrement (Seuil).

Il a été rejoint depuis pas Pierre-Yves Le Priol dont le beau témoignage intitulé La foi de mes pères (Salvator) concerne l’héritage du catholicisme breton. Il rejoint le même souci.

Oui, comment notre monde a-t-il cessé d’être chrétien ? J’ai le sentiment d’une rupture de civilisation, c’est-à-dire d’une rupture des liens profonds qui tissent un type de société. Une société qui se reconnaît aussi dans un imaginaire au sens fort du terme. Non pas une sorte de projection arbitraire mais une communion de sens qui donne à la vie sa saveur et sa direction. Et ce n’est pas un exercice simple que celui qui consiste à analyser le processus qui amène à la dissociation de cette communion et de ses liens. J’ai tendance à prêter quelque attention sur ce point à un philosophe non chrétien comme Jean-Claude Michéa, attentif à ce qu’il appelle le dynamitage continuel des cultures anciennes qui finit par abolir tous les montages normatifs légués par l’histoire, y compris, par conséquent, ceux du sens commun et de la décence commune. Seul le marquis de Sade avait eu l’intuition de cette destruction capitale au XVIIIe siècle.

Ce n’est qu’un des aspect de la rupture. Il en est d’autres, propres à la transmission de la foi. Un demi-siècle après 1965, nous pouvons estimer les dégâts, en dépit des très belles assemblées de Noël auxquelles nous venons de participer. J’y songeais, en écoutant avec beaucoup d’admiration un groupe de jeunes évangéliques chanter et affirmer leur foi, oui, à Noël dans le métro. Il y a du travail pour entreprendre une nouvelle évangélisation. Mais comment rechigner, alors qu’il est si évident que notre monde a faim de ce sens que lui apporte la lumière de Noël. »

par Gérard Leclerc

Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 26 décembre 2018.

Source : France catholique

L’Enfant est né

par Hilaire Belloc (traduit par Bernadette Cosyn)

« Au cœur de l’hiver et au tournant de l’année vers de nouvelles choses, la chrétienté a fixé la messe de l’Incarnation : de la naissance divine, du renouveau, de la guérison de l’humanité.

Ceux qui ricanent de nos origines nous disent que la longue et obscure ère païenne, qui a finit par une aurore, avait consacré cette saison à la Naissance de la Lumière. Apprenons-leur que nous nous glorifions de telles coïncidences. Toute ces cultes instinctifs tâtonnants, ces symboles et ces imaginations, avec lesquels nos Pères cherchaient à atténuer le désespoir humain, sont l’avent de la Foi. La Foi a pris corps soudainement dans ces ombres, et les formes du mythe sont devenues réalité vivante. L’Enfant était né.

L’Enfant est né ; c’est la messe de la Nativité, et la croissance commence de ce par quoi l’humanité sera sauvée.

Aussi longtemps que la chrétienté a tenu dans un seul corps et as été stimulée par une vie universelle – aussi longtemps que notre monde occidental, le leader et l’enseignant du globe, a été catholique – ce temps a été un temps de reconnaissance et de simple bonheur. Un Invité était arrivé et était accueilli avec ravissement.
Tous les hommes étaient frères dans la fête car tous étaient les hôtes et les sujets de cet Invité. Après la promesse de cette sainte nuit, le soleil qui se lèverait brillerait pour toujours. Un tel esprit habitait Noël et les Douze Jours [jusque l’Epiphanie].
Mais une saine réjouissance peut-elle être l’esprit de Noël de nos jours ?

Difficilement. Au sein de la famille de la Foi, cela reste vif, mais hors de ces murs, dans l’obscurité croissante du monde moderne, cela pâlit ou a disparu. Durant longtemps, même ceux qui avaient abandonné l’unité (et, finalement toute doctrine) ont gardé quelque saveur de la chose. Cela s’affaiblissait, se réduisait et se dispersait en une vague bienveillance, la vénération des attachements humains et une sorte de prétexte sentimental pour oublier un court moment que l’homme est mortel.

Plus tard, même cette vague réminiscence est devenue ténue. Maintenant enfin, à notre époque, pour des millions, de plus en plus nombreux, les faibles vestiges de la gloire de Noël sont en train de disparaître, ont disparu. L’ancien désespoir refait surface.

Quel est alors le commandement que la Foi nous donne à Noël ? C’est notre fierté et notre vantardise d’avoir soutenu le siège et que, au sein de notre forteresse, la Fête garde sa splendeur de réalité. Si nous regardons à l’intérieur, nous pouvons avoir la même activité avec Noël et l’Epiphanie qui arrive que la pratique qui était celle de tous nos ancêtres durant quinze siècles.

Mais si nous regardons à l’extérieur ? De nos murs nous avons une vue d’ensemble sur des plaines crépusculaires de plus en plus obscures où la grande foule des hommes sombre dans le chaos depuis l’ordre transcendant que la Foi avait érigé.
Les ombres, à mesure qu’elles se propagent, s’agglutinent en un nuage grandissant dans lequel les hommes se disputent au hasard, trébuchant dans des efforts stériles, et empoisonnés par des haines mutuelles, suivant des lueurs incertaines qui partent à la dérive et échouent, flottent un moment dans l’air épais de la nuit et ne conduisent nulle part. L’hôte est devenu un troupeau. Ses énergies aveugles le mènent à sa propre destruction.

Il semblerait que dans un tel péril le commandement que nous recevons à Noël soit de récupérer le monde – si c’est possible – avant qu’il ne soit perdu. La joie ancienne, la beauté inchangée des Douze Jours et de leur musique, nous pouvons les chérir comme notre propre héritage ; mais cela ne rachète pas ceux que cela ne touche plus, qui ne peuvent même pas concevoir ces choses.

Pourtant, c’est le printemps de la croissance, l’entrée dans la vie, ce temps des Douze Jours ; et le commandement qui en découle est de restaurer le monde : car, manquant de l’extension de la Foi, même le simple corps physique du monde moderne est condamné.

La tâche à laquelle nous sommes convoqués, dans la crise de ces maux nouveaux mais derniers, n’est guère de festivités et d’aucun repos. Chacun de ceux qui obéissent doit se préparer pour une rencontre. Il n’apportera pas avec lui la chaleur et la clarté de la Crèche. Il entrera dans l’obscurité et le brouillard. Il sera enveloppé par eux et transi par le froid mortel. Il vivra comme un ennemi parmi des ennemis, et très probablement seul. De telles épreuves sont les conditions de son défi, l’essence de la cause qu’il sert.

Aucun de ceux qui entreprennent cette tâche aujourd’hui ne vivra pour assister au triomphe. Ceux dotés du don suprême de persévérance seront désappointés. Ils ne verront pas la victoire et ne seront pas présents (sur terre du moins) pour entendre le cri : Vincit Regit Imperat.

Mais l’Enfant est né et nous commandera dans ce qui ressemblera à une bataille perdue. Cette impression d’échec et ces tentations d’abandonner l’effort seront nos garanties, nos témoignages à l’inspiration divine. La ligne fluctuante ne peut avancer qu’au prix de telles blessures et ceux qui en sont les victimes sont, même quand ils renouvellent leurs souffrance, les vainqueurs.

On nous dira que la cause est sans espoir depuis le début et que la bataille est perdue avant d’avoir commencé.

Quelles armes nous sont fournies pour combattre le mal qui se répand ? Quels sont les ordres ordinaires ? Quelle tactique répandue peut nous rassurer sans le moindre doute ? Nous ne pouvons que mourir de faim par appauvrissement, qu’être abandonnés de tous, laissés inentendus : nous devons agir isolés et seuls, sans compagnons, et, à mesure que l’intelligence et l’instruction déclinent, notre message transcendant a de moins en moins d’audience. Comment, face à ces probabilités, pouvons-nous faire quoi que ce soit ?

Il y a bien longtemps, une telle guerre a été menée et gagnée. Les païens ont été repoussés et la chrétienté établie : la bataille a été désespérée et longue mais pleine d’espoir et unie, et elle a été conclue – ou a semblé conclue – selon nos propres termes. La Foi catholique a finalement illuminé toute l’Europe. Mais l’accord n’a pas résisté. Il y a quatre cents ans, il a été menacé. L’unité, par laquelle seulement une chose est ce qu’elle est, a fait naufrage et les fragments sont partis à la dérive dans un fatras devant lequel nous nous tenons maintenant consternés.

L’ancienne victoire a été gagnée dans une courbe ascendante. Mais un sommet a été passé et maintenant, depuis longtemps, la courbe est descendante. Nous avons sans cesse perdu du terrain depuis des générations et cela continue. Quelle perspective d’inverser la tendance ?

A toutes ces questions, et à beaucoup d’autres (pires) à venir, la réponse est la proclamation de ce temps : l’Enfant est né.
[publié pour la première fois lors de l’Avent 1936 dans « The Universe »]

Source : the catholicthing