Le Synode sur l’Amazonie ou le risque d’un communautarisme théologique

samedi 26 octobre 2019
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Le Synode sur l’Amazonie ou le risque d’un communautarisme théologique



« Alors que s’est ouverte à Rome le 6 octobre dernier l’Assemblée Spéciale du Synode des Evêques sur l’Amazonie que le pape François avait annoncée à l’automne 2017, demandons-nous pourquoi le Cardinal Brandmüller condamne l’Instrumentum Laboris, c’est-à-dire le document préparatoire aux travaux synodaux intitulé « Nouveaux Chemins pour l’Eglise et pour une écologie intégrale », en des termes extrêmement sévères : « [Ce texte] contredit l’enseignement impérieux de l’Eglise sur des points essentiels et il doit donc être considéré comme hérétique. Dans la mesure où le fait de la révélation divine y est remis en question, ou mal compris, il faut en plus également parler d’apostasie. »

Si, aux yeux de ses adversaires, ce texte semble préparer le terrain à un certain communautarisme en matière théologique, c’est qu’il incarne d’abord un recyclage – un verdissement pourrait-on dire – de la théologie de la libération, d’inspiration, comme chacun sait, très fortement marxiste et déjà condamnée sous Jean-Paul II, en 1986, par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (sous la plume du Cardinal Ratzinger, aujourd’hui pape émérite) au motif qu’elle confondait l’Evangile et la Révolution ; mais c’est aussi, plus gravement encore, qu’il marque une rupture avec la doctrine de la foi. En effet, si, en suivant ce texte, elle décidait de porter son attention – entre autres préoccupations – sur la place des femmes, le devenir de la « Terre-Mère » (la première des sept occurrences de ce syntagme figure dans l’article n°44) ou encore le « cri des pauvres et de la terre » (article n°101), l’Eglise prendrait le risque de renoncer à sa vocation universelle et à sa mission évangélisatrice en fractionnant la communauté catholique mondiale : d’abord en ne s’intéressant, une première à l’heure des enjeux transversaux de la mondialisation, qu’à un territoire donné, l’Amazonie, que ce document de travail n’hésite pas à ériger en « modèle » pour un Eglise « au visage […] autochtone » (articles 155 sqq.) ; ensuite en ouvrant une dangereuse brèche vers une théologie à géométrie variable, tantôt éco-théologie, tantôt théologie féministe, africaine ou encore amazonienne, en somme vers un nouveau messianisme qu’on qualifierait volontiers de Paradis imaginaire romantique ou néo-rousseauiste si la notion d’« écologie intégrale » vantée par le Saint Père dans son encyclique Laudato Si’ (2015) ne visait pas précisément à réfuter toute séparation artificielle entre un environnement naturel jugé pur et propre d’une part et l’humanité d’autre part, conçue comme un corps étranger, aux fins, justement, d’intégrer pleinement cette dernière à l’environnement dans lequel elle évolue.

Signe de cette confusion permanente, le père Eleazar Lopez, prêtre mexicain d’origine zapotèque et sectateur d’une nouvelle communion « en la nature » avec laquelle le Dieu chrétien, pourtant incréé, semble désormais se confondre, a ainsi été invité au Synode comme expert en théologie indienne ; il en va de même du théologien équatorien Vicente Zaruma qui revendique clairement sa « vision gramscienne » de la théologie catholique, visant à substituer à un concept central de la théologie de la libération, la classe sociale, ce qu’il nomme la « part spirituelle du peuple », c’est-à-dire à faire des racines culturelles, des sagesses ancestrales et de l’esprit des cultures amazoniennes (la « cosmovision ») l’essence même de l’esprit divin. Tout est dit.

Au fil de ses 147 articles, l’Instrumentum Laboris fait ainsi de l’Amazonie un véritable « lieu théologique » et même un « lieu épiphanique » (c’est-à-dire une « source particulière de la révélation de Dieu », aux côtés – nous citons ici la constitution conciliaire Dei Verbum de Vatican II – de la Tradition et de l’Ecriture) et d’« expérience de Dieu dans l’histoire », semblant par là-même nier l’élection du peuple d’Israël dont il ne pipe mot ; il célèbre la « connexion » qui existerait entre la terre, la divinité et les hommes. Derrière ces expressions qui ne laissent pas de surprendre et qui exigent, pour le moins, une clarification, ce à quoi ce texte semble inviter ressemble davantage à un syncrétisme assumé, résultat d’une « inculturation » du panthéisme, du paganisme, du chamanisme et de l’animisme autochtones dans la doctrine catholique, à moins que ce ne soit l’inverse.

Dans des accents qui rappellent par ailleurs le relativisme culturel de la plus pure tradition du structuralisme philosophique français des années 60 (Derrida, Deleuze, Althusser, Foucault), le théologien allemand Paulo Suess, coordinateur du document préparatoire aux côtés des cardinaux ou évêques latino-américains Claudio Hummes (cardinal archevêque émérite de Sao Paolo), Pedro Barreto (cardinal archevêque de Huancayo), Oscar Rodriguez Maradiaga (cardinal-archevêque de Tegucigalpa) et Carlos Aguiar Retes (archevêque de Mexico), revendique ainsi une économie du Salut de chaque âme « dans sa propre culture » (intra culturam), c’est-à-dire dans des religions autochtones dont l’Instrument de travail prend soin de taire les dimensions négatives (par exemple la sorcellerie), voire criminelles (rien moins que la pratique de l’infanticide ou du cannibalisme), au nom du rejet d’un prétendu néo-colonialisme évangélisateur (article 76) présentant le Christ pour ce qu’il est, une figure rédemptrice, auquel il préfère visiblement l’auto-évangélisation par les vertus de l’œcuménisme et du dialogue culturel, et ce au mépris des droits naturels. Consacrant ainsi son chapitre II à la promotion de l’« interculturalité », le texte ne lésine pas sur la respectabilité des religions pré-abrahamiques, dussent-elles rendre un culte à Pachamama, déesse indienne à qui le président Bolivien et inspirateur de la Journée internationale de la Terre nourricière (chaque 22 avril), Evo Morales, sacrifie régulièrement des lamas…

Sans rechercher à l’exhaustivité de notre propos, nous évoquerons deux points encore, susceptibles d’alimenter notre inquiétude quant à l’issue des travaux de ce Synode toujours en cours à l’heure où nous écrivons : d’abord, un éloge « décroissantiste » aux inflexions onusiennes (qu’on se rappelle le discours de Boutros Boutros-Ghali au sommet de Rio en 1992) vouant aux gémonies le modèle de développement occidental « extractiviste » et « qui se limite uniquement à exploiter économiquement la richesse forestière, minière et la richesse en hydrocarbures de la Panamazonie » et vantant, pêle-mêle, les mérites des formes locales les plus kolkhoziennes d’organisation socioéconomique, « l’agriculture biologique et agro-forestière », le modèle indien du « bien-vivre », « les marchés éco-solidaires, une consommation juste et une sobriété heureuse » (articles 84 sqq.) ; ensuite, la poursuite des efforts faits depuis Vatican II pour estomper la frontière entre clercs et fidèles en étudiant la possibilité d’un découplage entre le pouvoir de gouvernement et le sacrement de l’Ordre, dont ce Synode pourrait tout simplement constituer l’agenda (à peine) caché.

Que se poursuivent désormais des discussions libres à Rome.
Mais le ton est donné et la Maison brûle, la vraie. »

Florent Ly-Machabert

24 octobre 2019

>Florent Ly-Machabert est agrégé de l’Université en sciences économiques et sociales, professeur d’économie et de sociologie, directeur de mémoire et chargé de cours à l’EDHEC et à l’Univ. Paris I Panthéon Sorbonne, intervenant à l’Institut de Formation Politique de Paris. Auteur de plusieurs ouvrages chez Lettres du Monde, Ubifrance et aux Éditions Universitaires Européennes (notamment Economie formelle et lutte contre la pauvreté en 2018), il a exercé comme consultant en stratégie puis en développement économique pour de nombreuses collectivités publiques, notamment sur la question des industries créatives et des nouveaux modèles de croissance. Il a créé en 2013 Samarie & Cie, un institut de vulgarisation à visée libérale conservatrice.

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ndf