L’Histoire de France m’a donné des figures d’identification, et même une fraternité traversant les âges

jeudi 7 janvier 2016
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Des Frères musulmans à l’amour de la France chrétienne



Par Pierre Jovanovic et Samuel Pruvot

Physicien de formation, Malik Bezouh s’est rapproché de la Confrérie des Frères musulmans avant de s’en éloigner.

EXCLUSIF MAGAZINE - La vague d’attentats de 2015 provoque un regain de patriotisme. Plus qu’un effet de mode, un réflexe de survie, quand la France est attaquée dans sa chair et sa culture. Témoignage exclusif de Malik Bezouh, Auteur de France-islam : le choc des préjugés (Plon, 2015).

« J’avais un contentieux énorme avec la France. J’ai pu me réconcilier avec elle après un long parcours. Officiellement, j’étais français, né en France, issu de l’immigration algérienne. Mais la France, pour moi, était un hôtel, où j’étais seulement hébergé. Je souffrais d’ailleurs du racisme ordinaire envers les Maghrébins, dans ma jeunesse : combien de fois ai-je été traité de “bougnoule” ? Tout cela m’empêchait de me raccrocher à la France. Il faut comprendre cette faille identitaire que portent tous les Français d’origine maghrébine, si difficile à surmonter.

Officiellement, j’étais français, né en France, issu de l’immigration algérienne. Mais la France, pour moi, était un hôtel, où j’étais seulement hébergé.

C’est lorsque j’étais étudiant, à Saint-Étienne, que j’ai rencontré l’islamisme. J’ai lu cette phrase d’un penseur des Frères musulmans, Sayyid Qutub : “La nationalité du musulman, c’est sa foi.” J’ai alors cru tout résoudre : je ne suis ni algérien, ni français, je suis musulman ! Je pensais avoir enfin trouvé les réponses à mes questions. J’ai embrassé l’islam porté par les Frères musulmans.

Engagés, prosélytes, mais foncièrement légalistes, nous utilisions tous les moyens législatifs et associatifs pour faire passer le message islamique. Nous étions alors en pleine guerre de Bosnie, dans les années 1990. J’étais tenté d’accomplir le djihad contre les Serbes, mais la confrérie m’a empêché d’y aller. Les Frères musulmans sont très hiérarchisés, très structurés. C’est leur côté positif : en cadrant les individus, et en respectant l’ordre public, ils les empêchent souvent d’être des aventuriers incontrôlables. Je pense qu’ils ont évité à l’islam de France de basculer dans le salafisme révolutionnaire. S’il n’y avait pas les Frères musulmans, combien y aurait-il eu de Mohammed Merah ?

J’aurais pu continuer au sein de la confrérie, comme certains de mes amis, qui sont aujourd’hui cadres de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). Pourtant, j’étais malheureux chez les Frères musulmans. Je ne partageais pas leur sentiment de surpuissance envers les “Français”, ces mécréants qui pataugent dans l’ignorance et l’idolâtrie de la nouvelle Babylone. Ce sentiment de surpuissance n’était pas de l’amour, cela ne correspondait pas à mon désir profond. Je suis devenu dépressif, j’ai émis des doutes sur le Coran. J’ai fini par quitter la confrérie. Cela a été une vraie souffrance pendant plusieurs années.

L’Histoire de France m’a donné des figures d’identification, et même une fraternité traversant les âges : Pierre le Vénérable, Bossuet sont devenus mes frères ! Tout cela participait à la renaissance de ma francité.

Je suis alors tombé sur un texte de Bossuet : ce fut un véritable choc ! Je lisais un français magnifique, alors que je ne connaissais jusqu’à présent que des traductions islamistes de l’arabe. Ce fut mon premier véritable contact avec la littérature française. Je suis devenu amoureux des textes sublimes de l’évêque de Meaux, où il explique la nature humaine. Comme cette phrase tellement profonde, sur la fièvre de paraître : “Ô quand sera-ce que je songerai à être en effet, sans me mettre en peine de paraître ni à moi ni aux autres ?” J’ai été bouleversé par cette pensée, qui s’inscrit en faux contre la société hédoniste et narcissique actuelle. C’était une véritable révolution pour moi de rencontrer ce grand personnage français, chrétien, éclairé par la transcendance divine, et appartenant à une époque inconnue. Pour comprendre Bossuet et l’Ancien Régime, j’ai plongé dans l’Histoire de France. Et là, ce fut le salut, la renaissance ! J’avais un bijou, un trésor à ma portée, et je ne le savais pas. Bossuet m’a ouvert la porte sur l’univers splendide de la culture française, et donc la culture chrétienne.

L’Histoire de France fut ma thérapie. J’ai découvert cet aspect charnel de mon pays, que je ne connaissais pas. J’avais également besoin de comprendre le rapport de la France à l’islam, à travers l’Histoire. J’ai rencontré la figure de Pierre le Vénérable, un abbé de Cluny du XIIe siècle, qui avait étudié l’islam et traduit le Coran. Il avait une véritable curiosité envers les “Sarrasins” : je me suis reconnu dans cet effort de l’intelligence. J’ai aussi aimé le contre-révolutionnaire Joseph de Maistre, cette plume extraordinaire, à la fois pleine de sagesse et de désespoir. L’Histoire de France m’a donné des figures d’identification, et même une fraternité traversant les âges : Pierre le Vénérable, Bossuet sont devenus mes frères ! Tout cela participait à la renaissance de ma francité. Je suis un miraculé de l’identité française. J’ai envie désormais de la partager et de la transmettre, de dire à mes amis musulmans : “Découvrez la France ! Découvrez ce remède !”

On ne peut pas reconstruire la France autour de Charlie Hebdo : la philosophie des Lumières n’est pas neutre, elle est intolérante, et s’est construite sur la haine du religieux.

En effet, les Français de confession musulmane ne peuvent évidemment pas se reconnaître dans la culture libertaire actuelle. Ils ont un rapport à la transcendance qu’ils partagent avec les chrétiens. Ils ont vocation à proposer avec eux un modèle de société plus humain, et moins aliénant. Je suis très triste de voir la déchristianisation de la France. Je suis français, et le christianisme historique a fait renaître ma francité. C’est un repère de notre culture.

On ne peut pas reconstruire la France autour de Charlie Hebdo : la philosophie des Lumières n’est pas neutre, elle est intolérante, et s’est construite sur la haine du religieux. Pour moi, les voltairiens ont kidnappé la philosophie, comme l’islamisme a kidnappé l’islam. Je préfère Élie Fréron, polémiste contemporain de Voltaire, qui défendait un traditionalisme ouvert. C’est ce qui devrait unir les musulmans aux chrétiens, et leur proposer un autre regard sur la France. Les hommes d’État devraient se replonger dans notre Histoire, pour prendre de la hauteur. Bref, il faudrait une psychothérapie nationale, avec l’aide de l’Histoire de France, à l’école de l’abbé de Cluny ! »

Site source à consulter

Famille chrétienne