« La République et la mort »
« La République nous appelle/Sachons vaincre ou sachons périr/Un Français doit vivre pour elle/Pour elle un Français doit mourir. » A chaque fois que j’entends ces paroles du Chant du départ, me revient à la mémoire une anecdote que racontait naguère Pierre Monnier et qu’il rapporte, me semble-t-il, dans son excellent livre A l’ombre des grandes têtes molles : un jeune homme, li¬gueur d’Action française, rencontre Charles Maurras et lui déclare, plein de zèle, qu’il est prêt à mourir pour « la cause ».
Sur quoi, le malheureux se fait rudement chapitrer par le vieux lutteur royaliste, qui lui dit (je rapporte ces propos de mémoire) : « C’est la République, qui veut qu’on meure pour elle ! Pour la France, il faut vivre ! ». La République est un régime de mort. J’ai conscience en écrivant ces lignes que beaucoup de mes lecteurs sont républicains ; mais, au-delà du débat sur les institutions aujourd’hui les plus adaptées à la France, il s’agit d’une évidence historique.
Dès l’origine, en décrétant la levée en masse en l’an II (1 793) et en instituant la conscription, la République s’est arrogé un droit de vie et mort (autrement dit, surtout de mort) sur ses citoyens de sexe masculin et leur a imposé le sacrifice obligatoire. On a vu à quel résultat cette logique a conduit : la guerre des peuples et la grande saignée dont nous commémorons actuellement le centenaire, et dont notre patrie ne s’est jamais relevée. Ce constat n’ôte rien à la grandeur du sacrifice des poilus de la Grande guerre ; mais leurs jeunes vies ont douloureusement manqué à la France.
Aujourd’hui, toujours au nom de ses « valeurs », au demeurant évolutives, la République continue à tuer, par l’avortement de 200 000 enfants par an au nom d’un pseudo-droit des femmes dont on voudrait faire un droit de l’Homme, ou par l’euthanasie, dont la voie est désormais ouverte, au nom d’une prétendue « liberté » de mourir.
Les enfants non nés sont remplacés par des populations immigrées qui s’établissent chaque année dans notre pays en nombre à peu près équivalent, contribuant ainsi au grand déracinement des peuples et à la mort des nations. Ainsi, depuis plus de deux cents ans la République tue la France, qu’elle supplante d’ailleurs dans les discours officiels. Au grand déplaisir des socialistes, Nicolas Sarkozy renomme son parti « les Républicains » ; aurait-il osé l’appeler : « les Français » ? Il est vrai qu’il lui faudrait un bel aplomb.
Car le régime des partis divise, alors que la France rassemble. Cette évolution mortelle a été rendue possible par la destruction des repères sociaux, philosophiques et religieux traditionnels, destruction à laquelle, comme l’a dit Vincent Peillon, la République a travaillé en se grimant en contre-Eglise, diffusant sa propre religion : la laïcité – ou plutôt le laïcisme, qui en est la caricature agressive. C’est ce qui déconcerte, aujourd’hui encore, de nombreux catholiques, surpris que leur soit livrée une guerre de religion sous couvert de neutralité.
C’est aussi ce qu’a compris le pape François, qui regarde, à raison, comme un camouflet et un piège la tentative cavalière de lui imposer, après la légalisation du « mariage » homosexuel, la promotion officielle de l’avortement et la récente loi sur la « fin de vie », la nomination d’un ambassadeur dont l’homosexualité est étalée sur la place publique. Pour ces raisons, le Saint-Père diffèrerait, paraît-il, une visite dans notre pays. Mais en fin de compte, c’est la République laïciste et intolérante que boude le pape, et non pas la France. Pour la France, fille aînée de l’Eglise, il est urgent de prier, comme nous y a invité le cardinal Barbarin, primat des Gaules ».
Eric Letty
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