Stéphane Bern : “Oui, la France a un problème avec son identité chrétienne”
Extraits
« Valeurs actuelles. Votre mission de sauvegarde du patrimoine vous a confronté à l’administration française. Quel portrait en tirez-vous ?
Stéphane Bern. Sur le terrain, la plupart des fonctionnaires sont très compétents. En revanche, dans les bureaux, c’est parfois terrible, avec des gens hors sol. Certains font preuve d’un immobilisme total. J’ai ainsi croisé au ministère de la Culture une collaboratrice qui m’expliquait qu’elle ne pouvait pas traiter plus de dix e-mails par jour. La phrase de Clemenceau m’est alors revenue : « Les fonctionnaires sont comme les livres d’une bibliothèque : ce sont les plus haut placés qui servent le moins. »
Voilà pourquoi j’ai voulu que ma mission sur le patrimoine soit une plate-forme participative. Pour déposer un dossier de demande d’aide à la réhabilitation d’un bâtiment, c’est extrêmement simple : vous glissez la fiche du monument sur www.missionbern.fr et on s’occupe du reste. Il faut se mettre à la place du maire d’une petite commune : faire une demande pour sauver une église ou tout autre patrimoine vernaculaire relève d’une complexité folle. Ils ne sont pas formés pour ça. Parfois, appeler un préfet ou le ministre concerné par une de mes requêtes permet de débloquer la situation plus facilement.
Dans votre combat pour exonérer de taxes les revenus générés par le Loto du patrimoine, les sénateurs vous aident bien plus que les députés. Comment l’expliquez-vous ?
En France, il y a une taxe sur les jeux d’argent. Mais le Loto du patrimoine n’en est pas un ! L’État ne va quand même pas nous faire les poches ! Voilà ce que je ne comprends pas en France : on reprend d’un côté ce qu’on nous donne de l’autre. Je croyais qu’on allait vers plus de fluidité et de simplification… Par trois fois les sénateurs ont voté contre la taxation de ce jeu philanthropique. Par trois fois les députés ont infirmé leur vote. Comment ces gens peuvent-ils ensuite demander nos suffrages ? J’ai pris la liste de ces députés et je les ai appelés. Je leur ai dit : « Comment osez-vous me solliciter en permanence pour les monuments de votre circonscription alors que, quand je vous demande d’abroger une taxe sur le Loto du patrimoine, vous n’êtes pas là ? »
Les sénateurs, eux, ont été formidables car ils comprennent l’importance du territoire. La moitié du patrimoine français appartient à des communes de moins de 2 000 habitants. Si on veut redonner de la convivialité à nos régions, de la fierté et du dynamisme économique à la ruralité, ce sera grâce au patrimoine. Il s’agit de la seule industrie non délocalisable ! Partout où je suis allé, les “gilets jaunes” m’ont d’ailleurs toujours défendu. Ils ont conscience que je me bats pour ce qui est parfois leur outil de travail ou des bâtiments auxquels ils sont attachés.
Les Français n’en peuvent plus de voir leurs paysages défigurés ! Veut-on devenir un pays laid ?
La France privilégie-t-elle trop les sites connus et prestigieux ?
C’est toujours la France périphérique qui est abandonnée. Je suis convaincu qu’il faut sauver le Grand Palais, dont la rénovation coûtera plus de 400 millions d’euros. Mais on ne peut, au regard de ce chiffre, accepter que soient accordés seulement 22 millions d’euros pour les petites églises du reste du pays. Outre Notre-Dame de Paris, de nombreuses cathédrales sont en mauvais état. Même la Madeleine. Le curé m’a emmené dans les combles, au deuxième étage, ça peut prendre feu à tout instant ! Je ne sais pas si on se rend bien compte à quel point notre patrimoine est en mauvais état.
La loi Élan d’aménagement du territoire, voulue par Emmanuel Macron, va selon vous poser de gros problèmes. Lesquels ?
Elle souhaite accorder plus de pouvoir aux maires. Faut-il leur faire confiance ? Ah non, pas à tous ! Certains ont mauvais goût. Je le vois pour le Village préféré des Français : j’ai de plus en plus de mal à trouver des villages où il n’y a pas de verrue. C’est d’autant plus regrettable que les jolis villages sont souvent les plus florissants. Le patrimoine, ce n’est pas un coût, c’est un investissement. Nous sommes censés être en pleine période de sensibilité écologique, et on continue de défigurer notre patrimoine et nos sites naturels.
À ce propos, que pensez-vous de la prolifération des éoliennes ?
L’écologie n’est pas étanche à l’influence des lobbys. L’industrie des éoliennes paie des paysans pour qu’ils en installent dans leurs champs. Ces machines dégradent la flore et la faune, leurs pales tuent des oiseaux parfois rares. Au mois de mai, j’ai survolé la Beauce avec le président de la République. Je lui ai dit : « Regarde comme ce pays est couvert d’éoliennes. » Il m’a répondu : « Oui, je crois que les Français n’en veulent plus. » Les Français n’en peuvent plus de voir leurs paysages défigurés ! Veut-on devenir un pays laid ?
Qui sont vos adversaires politiques ?
Les modernistes à tous crins qui du passé veulent faire table rase.
Que pensez-vous de la formule d’Emmanuel Macron évoquant un « geste architectural contemporain » à propos de la reconstruction de Notre-Dame ?
Je pense qu’il s’est laissé emporter. Son premier discours était très bien, le lendemain il était pris dans la passion. On a lancé le concours architectural, Jean-Michel Wilmotte ou Dominique Perrault avait dû l’appeler et puis voilà… Ça veut dire quoi, “un geste architectural contemporain” ? On doit refaire Notre-Dame de Paris telle qu’elle a été classée, à l’identique ! Visuellement au moins : les matériaux importent peu. Viollet-le-Duc l’avait d’ailleurs fait avec d’autres matériaux. Ce n’est pas responsable de vouloir innover alors qu’on interdit à la direction régionale des affaires culturelles de le faire sur d’autres monuments. L’État ne donne pas l’exemple et c’est ça qui me rend dingue. Seulement 20 % des promesses de don ont été versées. S’ils veulent le reste, ils ont intérêt à la reconstruire à l’identique.
Un bon président est un président qui se comporte comme un roi.
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Vous qui êtes un ami d’Emmanuel Macron, comment vous situez-vous politiquement ?
Je ne suis ni de gauche ni de droite. Je n’ai pas le sentiment d’appartenir à un parti. La seule carte que j’ai eue, c’était dans ma jeunesse, à la Nouvelle Action royaliste. On me le reproche suffisamment : quand j’ai été nommé, on m’a accusé d’être l’homme des châteaux et des églises, de défendre le trône et l’autel. Résultat, j’ai sauvé des gares, des ponts ferroviaires, des usines désaffectées.
Je pense qu’on pourra avancer d’autant plus facilement que le port d’attache est solide. Le port d’attache, c’est l’identité judéo-chrétienne de la France.
En même temps, il n’y a pas de mal à préserver l’autel dans un pays de tradition chrétienne…
Bien sûr. Le problème des églises est le suivant : dans une ville de quelques millions d’habitants, comme Paris, on met les moyens. Mais une église coûte autant à rénover à Paris que dans un petit village de 30 habitants, qui n’a pas d’argent. Il faudrait qu’au sein des collectivités, les grandes métropoles puissent aider. Libérer aussi le mécénat d’entreprise. Là, par exemple, j’ai mené une opération avec Axa, je leur ai dit : « Arrêtez de financer les grands monuments parisiens, ça vous fait peut-être plaisir d’être invités à un dîner dans ce monument, mais ça ne vous apporte rien par rapport aux Français. En revanche, à chaque fois que vous allez sauver une église dans une région de France, vous allez toucher vos adhérents, les assurés. Vous êtes au plus près du maillage territorial. »
Ressentez-vous, au cours de votre mission, comme un petit malaise avec l’identité chrétienne de la France ?
Oui, on a un problème avec l’origine chrétienne de la France. La grande bêtise, c’est de ne pas avoir réussi à dire que l’Europe était chrétienne. Une fois que c’est dit, on peut avancer, mais nier son propre passé et sa propre histoire, cela empêche d’avancer. Je pense qu’on pourra avancer d’autant plus facilement que le port d’attache est solide. Le port d’attache, c’est l’identité judéo-chrétienne de la France. À partir du moment où on l’assume, on peut dire qu’on peut sauver toutes nos églises mais aussi d’autres monuments et d’autres édifices religieux.
Moi, je n’appartiens à aucune communauté, et je déteste le communautarisme. La seule chose que je reconnais, c’est la communauté nationale et l’amour de mon pays. On sauve des églises, des églises protestantes, des synagogues, une mosquée à Mayotte…
Vous avez souvent été au contact d’hommes d’Église. Que vous disent-ils ?
Nous avons un problème en France, avec la loi de séparation des Églises et de l’État. Il y a une méfiance, on se regarde en chiens de faïence, tout cela est d’une hypocrisie folle. On dit qu’il ne faut pas faire payer l’entrée d’une cathédrale, mais ce que me disent les archevêques, c’est que si on entre par la porte de derrière, on paye un droit d’entrée pour visiter la tour, la sacristie, la crypte, le trésor… donc on trouve des dérogations. Soyons francs, en dehors des heures de messe, faisons un prix d’entrée ou une contribution volontaire, par exemple.
Le recteur de Notre-Dame, Mgr Chauvet, avec qui j’ai beaucoup parlé, était en privé tout à fait d’accord avec mon idée. Mais j’ai compris son problème : si on fait payer un prix d’entrée, qui va percevoir l’argent ? C’est l’État, qui va le mettre dans cette grande caisse qu’est le Trésor public, et on ne le reverra plus jamais pour rénover.
L’histoire et le patrimoine suscitent un véritable intérêt chez les Français. Qu’est-ce que cela dit de notre société ?
Nous sommes très contradictoires, et j’observe le même phénomène pour mes émissions. Quand on réunit près de 3 millions de fidèles pour une émission d’histoire en prime time à la télévision, on se dit que tout n’est pas perdu. Mais on constate aussi qu’il y a autant de monde qui regarde les programmes de téléréalité et certains talk-shows ridicules. Il y a une tendance, aujourd’hui, à aller dans le sens de l’abrutissement, d’une déculturation, qui me fait peur. J’ai parfois le sentiment que toutes les valeurs dans lesquelles j’ai été éduqué et auxquelles je crois se font de plus en plus rares. Mais cette France éternelle, cette France qui défend le patrimoine, cette France qui est fière de son histoire, qui assume toutes les strates de son passé y compris les plus douloureuses, c’est une nation particulière qui doit être fidèle à mille ans d’histoire.
Ce génie français, je me dis qu’il n’est pas mort. J’ai souvent des doutes et j’en discute régulièrement avec mon ami Franck Ferrand. On se dit que tout ce pour quoi on se donne du mal est battu en brèche par ces jeunes loups qui nous dirigent et qui ne comprennent rien. Que ce soit dans les chaînes de télé ou de radio où je travaille, ou à l’Élysée, je vois des trentenaires qui ne connaissent rien. Cette inculture est partout. Cette méconnaissance de notre histoire, de notre passé me terrifie. Mais à côté de cela, je vois que le public est là. Ce sont les lecteurs de Valeurs actuelles , ceux du Pèlerin , les téléspectateurs de Secrets d’histoire . Les gens dans la rue également. L’autre jour, c’est un éboueur qui me lance : « C’est super ce que vous faites pour le patrimoine. Vous avez raison, ne lâchez rien ! »
Le patrimoine pourrait-il être une porte d’entrée du débat sur l’identité ?
Oui, c’est de l’identité réellement heureuse. Quand les gens voient dans une région rurale un patrimoine en déliquescence, ils pensent que l’État les a abandonnés. Le vote devient ensuite extrême. J’ai le sentiment que notre identité passe par notre patrimoine. Je pense qu’une personne qui n’est pas française et qui souhaite le devenir s’intègre par la langue, la culture et l’histoire… donc le patrimoine. J’ai fait une visite pour Habitat et Humanisme avec des jeunes des quartiers difficiles à Versailles. Eh bien, les petits Français de souche étaient les plus indisciplinés, ceux qui n’écoutaient rien. Et tous les Français de troisième, quatrième génération étaient les plus passionnés par la visite. Je crois que le patrimoine, cela ne va pas de soi. Il faut réapprendre aux jeunes à l’aimer. C’est de la culture à portée de main et gratuite de surcroît. Le patrimoine nous relie les uns aux autres ; le lieu crée du lien. Mon espoir, c’est que le patrimoine nous sauve. Je pense que la France n’est plus la France si elle ne comprend pas que son patrimoine, c’est son avenir. »
Par
Tugdual Denis, Nils Panisson et Timothée Déon
Publié le 05/09/2019
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