Tous frères : « une fonctionnalité horizontale », « un monde sans le Christ »
« "Dans la fraternité universelle syncrétiste, il y a une volonté millénariste sous-jacente qui est de recréer une Paradis terrestre mais en dehors du nom de Jésus qui est comme en trop", " les prêches même de Saint François d’Assise au sultan d’Egypte al-Malik al-Kâmil, ou aux animaux, ses frères, c’était toujours dans le but de les convertir et non dans le but d’établir une simple fraternité horizontale conçue comme une fin en soi" : nous le disions dans notre commentaire de l’encyclique Tous Frères du pape François publié le 3 octobre. Nous trouvons la même analyse aujourd’hui dans cet article de Luisella Scrosati pour La Nuova Bussola Quotidiana : "Tous Frères omet l’affirmation initiale de la seule vraie religion en pliant à la fois l’Église et la liberté à une fonctionnalité horizontale. La relativisation de la foi chrétienne est admise et l’idée est avancée que l’Évangile est une des sources d’inspiration pour réaliser la fraternité universelle. Ainsi l’Église prend sa place parmi les architectes d’un monde sans le Christ."
par Luisella Scrosati
Tous Frères omet l’affirmation initiale de la seule vraie religion en pliant à la fois l’Église et la liberté à une fonctionnalité horizontale. La relativisation de la foi chrétienne est admise et l’idée est avancée que l’Évangile est une des sources d’inspiration pour réaliser la fraternité universelle. Ainsi l’Église prend sa place parmi les architectes d’un monde sans le Christ.
En fait, ce n’est pas un excellent compliment, mais il est difficile de dire le contraire. Au sein de ce genre de bazar, l’attention s’est portée en particulier sur les paragraphes consacrés à la liberté religieuse. Au n° 279, François écrit : "Nous, chrétiens, nous demandons la liberté dans les pays où nous sommes minoritaires, comme nous la favorisons pour ceux qui ne sont pas chrétiens là où ils sont en minorité. Il y a un droit fondamental qui ne doit pas être oublié sur le chemin de la fraternité et de la paix. C’est la liberté religieuse pour les croyants de toutes les religions. Cette liberté affirme que nous pouvons « trouver un bon accord entre cultures et religions différentes ; elle témoigne que les choses que nous avons en commun sont si nombreuses et si importantes qu’il est possible de trouver une voie de cohabitation sereine, ordonnée et pacifique,
La liberté religieuse, dans le paragraphe susmentionné, est liée à la contribution que toutes les religions peuvent apporter à la réalisation d’une forme pacifique de coexistence ; elle est fonctionnelle à la création d’une fraternité universelle, à laquelle chaque religion offre les "nombreuses choses" qu’elle a en commun avec les autres. Il est intéressant de noter que le texte ne fait pas référence, comme on aurait pu s’y attendre, à la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse ; il est plutôt précédé, au n° 277, extrait de la citation, soigneusement tronquée, de n. 2 de Nostra Aetate. Ces deux détails - l’omission de Dignitatis Humanae et la présence de la déclaration sur le dialogue interreligieux chirurgicalement, comme nous le verrons, choisie - ne sont pas sans effet. Et malheureusement, cet effet semble menacer les fondements de la Révélation, pour être plutôt fonctionnel au "nouvel humanisme" sans Jésus-Christ, qui s’établit à grands pas.
Mais allons-y dans l’ordre. DH commence par l’affirmation claire que "Dieu a lui-même fait connaître au genre humain la voie par laquelle, en le servant, les hommes peuvent obtenir le salut et le bonheur dans le Christ. Cette unique vraie religion, nous croyons qu’elle subsiste dans l’Église catholique et apostolique à laquelle le Seigneur Jésus a confié le mandat de la faire connaître à tous les hommes". Tel est l’horizon insurmontable dans lequel doit se placer la défense de la liberté religieuse ; un horizon, on le voit, qui exorcise la tentation de l’indifférentisme religieux et indique à l’Église le chemin de l’évangélisation comme une obligation irremplaçable.
Dans ce contexte, la liberté religieuse n’est donc pas la légitimation de la revendication d’individus ou de groupes de choisir la religion qu’ils aiment ; elle est encore moins le point d’arrivée de l’action de l’Église, mais la condition minimale pour que la personne puisse, sans contraintes, s’ouvrir à la reconnaissance de l’initiative également libre de Dieu, de se donner à l’homme dans le Christ et dans l’Église, même si cette reconnaissance, sur un plan contingent, peut ne pas se produire, ou ne se produire que partiellement. C’est une limite imposée aux pouvoirs extérieurs, en premier lieu l’État, en vertu non pas de l’arbitraire, mais du fait qu’il est propre à l’homme de chercher librement la vérité sur lui-même, sur le monde et sur Dieu. Il s’agit donc d’affirmer la dimension délicieusement verticale et spirituelle de l’homme, face à des réductionnismes nombreux et répétés.
Que font tous les frères à la place ? Ils omettent complètement l’affirmation primaire de la seule vraie religion et de la mission de l’Église, oublient la dimension verticale de la liberté religieuse et plie l’Église et la liberté à une fonctionnalité horizontale. Au n° 276 on lit en effet : "L’Eglise a un rôle public qui ne se borne pas à des activités d’assistance ou d’éducation", mais qui favorise "la promotion de l’homme et de la fraternité universelle". Il n’y a aucune mention de la mission surnaturelle de l’Église, sans laquelle il ne peut y avoir de promotion humaine, ni de fraternité authentique.
Le numéro suivant est l’admission flagrante de complète relativisation de la foi chrétienne et immanentisation de la mission de l’Église. 277 rappelle en fait Nostra Aetate, 2, mais en omettant ces incisions et passages inconfortables ; tout d’abord la remarque qui précise que, tout en reconnaissant le bien présent dans les autres religions, elles "diffèrent en bien des points de ce que [l’Église] elle-même croit et propose" ; et puis, ce qui est encore plus grave, le paragraphe qui rappelle le devoir impératif de l’Église d’annoncer Jésus-Christ est complètement omis, sans se limiter à la simple reconnaissance des biens présents dans les autres religions. L’Église en effet "annonce, et elle tenue d’annoncer sans cesse, le Christ qui est ’la voie, la vérité et la vie’ (Jn 14, 6), dans lequel les hommes doivent trouver la plénitude de la vie religieuse et dans lequel Dieu s’est réconcilié toutes choses" (NA, 2).
Mais dans la nouvelle encyclique, il n’y a aucune trace de cette obligation précise de l’Église, qui est le sens de son existence. En effet, la suite du n° 277 est encore pire ; non seulement l’Évangile est radicalement réduit à une dimension horizontale, à une musique sans laquelle "nous aurons perdu la joie qui jaillit de la compassion, la tendresse qui vient de la confiance, la capacité de réconciliation qui trouve sa source dans le fait de savoir que nous sommes toujours pardonnés-envoyés Et "nous aurons éteint la mélodie qui nous a poussés à lutter pour la dignité de chaque homme et femme". Mais même l’idée est avancée que l’Évangile est simplement l’une des sources d’inspiration pour réaliser cette merveilleuse fraternité universelle : "D’autres boivent d’autres sources. Pour nous, cette source de dignité humaine et de fraternité réside dans l’Évangile de Jésus-Christ".
Mais dans la nouvelle encyclique, il n’y a aucune trace de cette obligation précise de l’Église, qui est le sens de son existence. Au contraire, la suite du n° 277 est encore pire ; non seulement l’Evangile est réduit de façon drastique à une dimension horizontale, à une musique sans laquelle "nous aurons perdu la joie qui jaillit de la compassion, la tendresse qui naît de la confiance, la capacité de la réconciliation qui trouve sa source dans le fait de se savoir toujours pardonnés" et "nous aurons éteint la mélodie qui nous pousse à lutter pour la dignité de tout homme et de toute femme ". Mais il y a même l’idée que l’Evangile est simplement une des sources d’inspiration pour réaliser cette merveilleuse fraternité universelle : "D’autres s’abreuvent à d’autres sources. Pour nous, cette source de dignité humaine et de fraternité se trouve dans l’Évangile de Jésus-Christ."
Un déiste anglais du XVIIe ou XVIIIe siècle, ou un von Harnack, n’aurait pas écrit autrement. La personne divine de Jésus-Christ, sa médiation universelle sont complètement réduites au silence ; l’ordre de la nature - qui dans l’encyclique est avant tout l’affirmation d’une coexistence légitime entre différentes religions - se détache de celui de la grâce. L’ordre social - dans la vision de François - peut être autonome, l’unité de la race humaine est réalisée indépendamment de l’adhésion à Jésus-Christ et de l’action surnaturelle de l’Église. Plutôt. L’Évangile est simplement l’une des sources qui peuvent contribuer au bien commun.
Lors de la rencontre interreligieuse (naturellement) discutée et discutable à Assise, en 1986, Jean-Paul II, sur la place inférieure de la basilique Saint-François, avait témoigné du Christ, le seul Sauveur, devant tous les représentants des autres religions réunis : "Je professe à nouveau ma conviction, partagée par tous les chrétiens, qu’en Jésus-Christ, en tant que Sauveur de tous, la vraie paix doit être recherchée". Quelques jours plus tôt, le 22 octobre, le même pontife, lors de l’audience générale, avait ainsi clairement résumé l’enseignement d’ Ad Gentes : "Selon le Concile, l’Église est de plus en plus consciente de sa mission et de son devoir, voire de sa vocation essentielle d’annoncer au monde le vrai salut qui ne se trouve qu’en Jésus-Christ, Dieu et l’homme. Oui, ce n’est qu’en Christ que tous les hommes peuvent être sauvés. [...]. Consciente de la vocation commune de l’humanité et du plan unique du salut, l’Église se sent connectée à chacun, comme le Christ "s’est uni d’une certaine manière à chaque homme". Et à tous et à chacun, il proclame que le Christ est le centre du monde créé et de l’histoire".
Tous Frères décident plutôt d’éteindre cette annonce, de faire accueillir l’Église parmi les architectes d’un monde nouveau sans le Christ, de donner le feu vert à l’idée que l’unité du genre humain peut être réalisée indépendamment de la personne divine du Christ, le cas échéant, utiliser l’Évangile comme l’un des nombreux textes inspirants des principes humanitaires »
07-10-2020
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