La dimension surnaturelle de la mission de Jeanne d’Arc
Nombre d’historiens, pourtant parmi les plus grands, font de Jeanne la Pucelle une héroïne exceptionnelle, tant par son courage, sa bravoure que par son charisme et ses aptitudes physiques. Sans ignorer la foi et le patriotisme qui la portent, ils expliquent et justifient finalement assez naturellement son parcours, négligeant au fond toute intervention surnaturelle et faisant fi de sa sainteté ; tels Jules Michelet, et, dans une moindre mesure, Jules Quicherat et Siméon Luce.
Quelques autres historiens, trop peu cependant, ont eu le mérite d’explorer la dimension surnaturelle de la mission de Jeanne d’Arc. Pensons en particulier aux travaux du Père Jean-Baptiste Ayroles, qui a consacré une grande part de sa vie à approfondir l’histoire de la Pucelle, ou encore Régine Pernoud pour qui Jeanne n’était pas seulement une héroïne mais une sainte1. Le présent ouvrage s’inscrit dans cette direction, en développant un aspect peu abordé, celui de la Vierge Marie dans la mission de Jeanne d’Arc, « la fille la plus sainte après la sainte Vierge » écrivait Charles Péguy2.
Ce mot de Péguy sonne juste, tant la Pucelle s’est véritablement mise à l’école de Jésus et de la Vierge Marie, abandonnant toute volonté personnelle pour revêtir, avec l’habit d’homme, la Divine Volonté.
Comment en effet, au travers des très nombreux témoignages historiques dont nous disposons la concernant, ne pas mesurer combien Jeanne, instruite et guidée par l’Archange saint Michel et les saintes Catherine et Marguerite, est configurée au Christ comme à la Vierge Marie ?
Jeanne est une héroïne hors du commun de l’histoire de France, ainsi que tous les historiens ont pu le constater. Mais ceux d’entre eux, y compris les défricheurs les plus grands et les plus admirables, qui méritent toute notre reconnaissance, mais n’ont vu en elle qu’une femme exceptionnelle et servie par les événements, se sont trompés et nous trompent. Le pape Léon XIII les qualifie même d’ennemi de la religion catholique, en ces termes : « En tête de ces ennemis, il faut placer ceux qui, dépouillant les exploits de la magnanime et très pieuse Vierge de toute inspiration de la vertu divine, veulent les réduire aux proportions d’une force purement humaine3 ». Jeanne la Pucelle est en effet bien davantage tant en réalité, par toute sa vie, elle s’avère configurée au Christ, notamment par sa vie publique très sainte, son inébranlable foi, son abnégation, son obéissance exemplaire, les trahisons dont elle fut victime, son inique procès et sa condamnation par un tribunal religieux, son martyre, à l’image de la Passion de Jésus-Christ4 Comme le Christ, Jeanne d’Arc est un sujet de contradiction à travers les siècles. Comme le Christ dont la nature divine est niée par beaucoup, « l’Envoyée du ciel, est méconnue, défigurée, dépouillée de sa référence au divin et par conséquent, de son auréole la plus éclatante, de sa gloire la plus haute5 ».
Jeanne fut plus familière de la présence de l’Archange saint Michel que l’évêque Aubert d’Avranche lui-même, qui fonda le sanctuaire du Mont-Saint-Michel sur le Mont Tombe.
Saint Michel, fut le premier à se faire entendre de Jeanne et « comme le précurseur et l’introducteur des saintes », ainsi que le relève très justement Jules Quicherat6. Ainsi, saintes Catherine et Marguerite accompagneront Jeanne tout au long de sa mission, du départ de Vaucouleurs jusqu’aux jours sombres de la captivité et du martyre à Rouen. Jeanne le proclame : « Je suis venue au Roi de France de par Dieu, de par la Vierge Marie et tous les benoîts saints et saintes de Paradis, et l’Eglise victorieuse de là-haut, et de leur commandement.7 » Mais, c’est l’archange saint Michel lui-même qui fixe à Jeanne les termes de la mission que Dieu et la Vierge Marie lui commandent d’accomplir : « Sur toutes choses, il me disait que je fusse bonne enfant, et que Dieu m’aiderait, et, entre autres choses, que je vinsse au secours du Roi de France. Et une plus grande partie de ce que l’ange m’enseigna est en ce livre. Et me racontait l’ange la pitié qui était au royaume de France.8 » De toutes les apparitions de saint Michel, celles dont bénéficia Jeanne furent les plus nombreuses ; ce fut à Jeanne que l’Archange apparut le plus longuement et fréquemment9.
La Mère du Sauveur a également eu une part essentielle, pas ou trop souvent insuffisamment mise en évidence, dans la vie et la mission de Jeanne la Pucelle.
Toute la mission de Jeanne se place en effet sous le double patronage et la protection de Jésus et de Marie. La présence et le rôle de Marie, pour être discrets, n’en sont pas moins très réels et marquants. Ainsi que le relève le Père Ayroles « derrière la libératrice de la France, il faut voir la libératrice du genre humain dont Jeanne n’est que l’ombre ; que derrière la Pucelle, il fallait voir la Vierge Immaculée la colorant de ses rayons 10 »
Déjà, du temps même de Jeanne, cette réalité surnaturelle apparaissait manifeste ; ainsi, la chronique Morosini, écrite au temps des événements par un noble vénitien, en faisait le constat : « Voilà de bien grandes merveilles ! Qu’en deux mois, une fillette ait conquis ait conquis tant de pays sans hommes d’armes [référence aux villes s’étant ralliées au roi de France sans coup férir], c’est bien un signe manifeste que ces événements ne sont pas œuvre d’une vertu humaine, mais que c’est Dieu qui les accomplit. Dieu a considéré la longue tribulation endurée par le plus beau pays du monde, dont les habitants sont plus chrétiens qu’en aucune autre contrée. Après l’avoir purifiée de ses péchés et de son orgueil, Dieu a voulu l’aider de sa main, alors qu’il était sur le point de sa destruction finale. C’était impossible à tout autre. Je vous affirme que sans l’intervention divine, avant deux mois, le Dauphin aurait dû fuir et tout abandonner, car il n’aurait pas eu de quoi mettre sous la dent. Il ne lui serait pas resté un gros pour se soutenir avec ses cinq cents hommes d’armes. Et voyez de quelle manière Dieu est venu au secours de la France. De même que par une femme, par Notre-Dame sainte Marie, il a sauvé le genre humain, de même par cette demoiselle, une vierge pure et innocente, il a sauvé la plus belle partie de la chrétienté. C’est une grande preuve de notre foi ; il me semble que, depuis cinq cents ans, il ne s’est pas passé de fait plus merveilleux.11 »
Depuis lors, Jeanne d’Arc a été canonisée, à Rome le 16 mai 1920, et mise sur les autels et la France Nous célèbre, en 2020, le centenaire de cette canonisation.
Que la mission de Jeanne soit également configurée à la Vierge Marie, placée sous son signe et sa protection,.comment un catholique s’en étonnerait-il d’ailleurs, sachant que là où est son divin Fils Jésus, là est aussi la Vierge Marie, sa très sainte Mère ? Ainsi Jeanne apparaît-elle comme un modèle de sainteté et quasiment l’archétype de la sainte chrétienne, tout à la fois christique et mariale dans sa piété.
Comme l’avaient souligné saint Bernard de Clairvaux, saint Jean Eudes et saint Louis-Marie Grignion de Montfort, la Vierge Marie conduit toujours infailliblement et directement à Jésus-Christ, Sauveur de l’humanité. Jeanne la Pucelle en offre un sublime exemple, en conduisant le Dauphin Charles VII se faire oindre et couronner à Reims pour devenir le Lieu Tenant du Christ, vrai Roi de France : la sainte de la Patrie, icône d’obéissance à la Divine Volonté, a « hardiment besogné » afin que « le Christ qui est Roi de France 12 » reprenne toute sa place dans le « saint royaume », ainsi que Jeanne appelait la France.
A cette fin, Jeanne a œuvré pour que le Christ règne dans les cœurs et que Son message salvifique diffuse dans la société toute entière, dans toute la nation. Là réside un aspect de la grande charité de la Pucelle, que cette prise en compte du Corps mystique tout entier, ce Corps mystique explicité du temps de la Pucelle par le grand juriste Jean de Terrevermeille13, ce Corps mystique dont Jésus-Christ est la Tête et qu’assiste en permanence sa Très sainte Mère, elle qui avait dit, au premier jour de la vie publique de Jésus, à Cana de Galilée, « Faites tout ce qu’Il vous dira », elle dont la glorieuse Assomption fut aussi « le triomphe de la Divine Volonté ».
L’enseignement de la Vierge Marie et la leçon donnée par Jeanne valent aujourd’hui comme hier, aujourd’hui plus encore peut-être qu’hier, car quantité d’âmes sont en grand danger de se perdre dans une société sciemment privée du vrai Dieu, qui est pourtant tout amour, grâce et miséricorde.
Guy Barrey
Auteur de "Marie dans la mission de Jeanne d’Arc", Ed. Via Romana, 2021, préface de Mgr Luc Crépy, avant-propos du Professeur Jean Barbey.
1Régine Pernoud, La spiritualité de Jeanne d’Arc, Ed. Mame, 1992 et Contamine, Bouzy et Hélary, Jeanne d’Arc, histoire et dictionnaire, 2012, p. 915.
2Charles Péguy, La tapisserie de sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc, in La France, NRF Gallimard, 1941
3Pape Léon XIII, Bref à Jean-Baptiste Ayroles, de la Compagnie de Jésus, 25 juillet 1894.
4En ce sens notamment Abbé J. Henry, En tout conforme au Christ, rapport au VIIe Congrès de la Cité catholique, Orléans, 1956.
5Abbé J. Henry, ibid.
6 Quicherat, Aperçus nouveaux sur l’histoire de Jeanne d’Arc, Ed. Renouard, 1850, p. 48.
7 Procès de Rouen, huitième interrogatoire non public, 17 mars 1431, Ayroles, p ; Trémolet de Villers, p. 167. Le 17 mars, dès le début de la séance, l’interrogateur dit à l’accusée « Donnez-nous réponse sur la forme, la figure, la taille, le vêtement de saint Michel, quand il vient vers vous ? - « Il était en la forme d’un vrai prud’homme. Quant à l’habit et autres choses, je n’en dirai plus rien. Pour ce qui est des Anges, je les ai vus de mes yeux, et vous n’aurez pas d’autre chose de moi. Je crois les dits et les faits de saint Michel qui m’est apparu, comme je crois que Notre-Seigneur Jésus-Christ souffrit mort et Passion pour nous : ce qui me meut à le croire, c’est le bon conseil, confort et bonne doctrine qu’il m’a faits et donnés ».
8 Procès de Rouen, septième interrogatoire non public, 15 mars 1431, Trémolet de Villers, p. 161 et 162.
9Ainsi que l’observe très justement le R.P. Ayroles.
10 Ibid., p. 282.
11Chronique Morosini, in Ayroles, La vraie Jeanne d’Arc, t. III B, la Libératrice,ESR, p. 580.
12Pape saint Pie X, lors de la Béatification de Jeanne d’Arc, 13 décembre 1908.
13Le juriste Jean de Terrevermeille, que l’historien du droit, Jean Barbey nous a donné de redécouvrir. Cf. Jean Barbey, La Fonction Royale, Essence et Légitimité, d’après les Tractatus de Jean de Terrevermeille, Nouvelles éditions latines, 1983.