Sainte Jeanne de Valois, reine de France
Fondatrice de l’Annonciade
Fondatrice de l’Annonciade
« Le règne de Louis XI ne se comprend tout à fait qu’aux lumières du bûcher de Jeanne d’Arc. C’est l’oeuvre spirituelle de Jeanne d’Arc qui a permis l’oeuvre temporelle de Louis XI. Si ce roi calculateur, rusé, quelque peu superstitieux, ne fut point un saint, sa fille Jeanne le sanctifia. Douloureuse, humiliée, offerte, canonisée par Pie XII, elle est la sainte de la Maison de Valois, la quatrième des dynasties de France.
Une fille de roi dont l’enfance fut particulièrement humiliée
Trente-trois ans après Jeanne d’Arc, une autre Jeanne, de France et de Valois, vient de naître. Qui la connaît ? Elle n’est pas au catalogue des grandes dames de l’histoire dont les médias nous offrent le programme des vies et des exploits, formant ainsi et à l’année longue, des modèles d’égéries passionnées plus que de femmes fortes. Elle n’est pas même non plus au catalogue habituel des saintes françaises. Bien qu’elle soit fille, soeur et femme de roi, aucune enfant ne sera plus asservie, aucune épouse plus méprisée que Jeanne, pas une féminité plus dédaignée, pas une reine ne sera plus humiliée. Elle est pourtant de celles dont le coeur souverain a porté non seulement les siens mais la vocation de son pays.
Ce qui lui est refusé en premier, c’est sa naissance. Louis XI, son père, qui a déjà une fille Anne, pour aînée, attend un héritier mâle. Il le veut. Et promet à cet effet à Notre-Dame de Cléry, une statue en argent du poids du nouveau né. Aussi, lorsque la reine, Charlotte de Savoie, met au monde une fille, Jeanne, le roi révolté n’accorde pas une attention à l’enfant. Dépité par cette cadette, il lui préfèrera toujours la compagnie de ses grands oiseaux et de ses lévriers. Privée de la tendresse naturelle de son père, Jeanne a cependant une mère aimante et attentionnée. L’éducation chrétienne qu’elle reçoit de la pieuse reine Charlotte est d’autant plus décisive pour l’enfant que, dès ses première années, Jeanne révèle une véritable profondeur spirituelle.
Elle n’a pas cinq ans lorsque Louis XI s’en aperçoit et la sépare de sa mère pour briser dans l’oeuf toute vocation religieuse naissante. Le roi n’a rien contre la vie consacrée, mais à ses yeux une fille de France ne s’appartient pas ; son devoir est de servir de la seule façon possible pour une femme : un mariage intelligent qui garantisse le "pré-carré" du royaume. L’enfant est alors confiée à de lointains parents, François de Beaujeu et Anne de Culan, seigneurs de Lignières, dans un canton reculé du Cher. Elle y restera jusqu’à son mariage. La privation d’un amour filial naturel est le premier abandon demandé à l’enfant.
A l’âge de se révolter déjà ou de se replier, Jeanne accepte et continue à chérir son père qui l’ignore. Anne de Culan a reçu ordre de détourner la fillette d’une dévotion "exagérée" mais la piété et l’amour de la petite Jeanne sont tels que la maîtresse des lieux désarmée, conçoit peu à peu un véritable amour de mère pour sa protégée et la laisse libre dans son élan spirituel.
Un mariage d’Etat, forcé et malheureux avec le duc Louis d’Orléans
Et c’est dans la chapelle de Lignières que, dans sa sixième année, Jeanne va recevoir de la Vierge elle-même, la promesse de lui être un jour consacrée. C’est aussi lors des première années passées chez Anne de Culan que l’on découvre le mal qui déforme de plus en plus le corps de la princesse : une déviation de la colonne vertébrale, passée d’abord inaperçue. Aujourd’hui, prise à temps, la malformation est remédiable. A l’époque de Jeanne, elle rend difforme pour la vie. Madame de Culan a beau réaliser des prouesses de couture pour voiler le petit corps contrefait et le rendre plus avenant, la jeune fille doit renoncer aussi au simple fait d’avoir une silhouette féminine.
Elle est cependant encore enfant lorsque son père décide de la marier au jeune duc Louis d’Orléans, fils de Charles d’Orléans, chef de l’une des plus puissantes dynasties du royaume. Le roi de France sait-il exactement l’état physique de sa fille à ce moment-là ? Il l’a très peu vue, et l’on peut penser qu’il n’en a pas mesuré la gravité. Car l’acharnement du roi à organiser ce mariage contre les voeux de tous, va jusqu’aux menaces envers la mère de Louis qui tente de s’interposer et envers le jeune homme qui, à la veille de la cérémonie, affirme encore à ceux qui l’entourent : "J’aimerais mieux épouser une simple damoiselle de Beauce".
En octobre 1473, le mariage civil est donc enregistré officiellement. Jeanne a neuf ans, Louis d’Orléans en a douze. Quant au mariage religieux, il est célébré le 8 septembre 1476 - après autorisation de l’Eglise de Rome - dans la plus stricte intimité. Ni Louis XI, ni la mère du jeune duc, qui marie sa fille le même jour, n’assistent à la cérémonie que l’on expédie au plus vite.
Dans ce couple, s’il y a eu un "oui" entier, responsable, c’est le sien
Pour Jeanne cet acte représente le contraire de ses aspirations et le renoncement spirituel le plus intime : celui de sa vocation. Or, dans ce couple forcé, s’il y a eu un "oui" entier, responsable, c’est le sien. Car Jeanne est docile au Seigneur, et pour Lui, elle respecte une volonté paternelle qu’elle n’a jamais cessé d’estimer et d’aimer : en digne fille de France, elle obéit à son devoir d’état. L’on a dit plus tard que ce mariage forcé n’en était pas un. Il reste que pour Jeanne de Valois, il a été l’acte d’une volonté qui consent, et d’une obéissance aimante.
On imagine sans peine ce qu’a pu être le calvaire d’une vie conjugale en de telles circonstances. Louis est jeune, beau, léger et encore bien loin de posséder la maturité affective nécessaire pour ne pas éprouver d’aversion envers celle dont on lui impose l’amour. Non seulement il n’acceptera jamais de partager la couche conjugale, mais ostensiblement, il marque son dédain et sa répulsion physique pour la laideur de son épouse.
Une laideur de corps essentiellement car de visage il semble que Jeanne ait eu un certain charme : "Un visage ovale, le nez net et développé, la bouche assez grande garnie de lèvres épaisses et un peu proéminentes, enfin un ensemble de traits qui, en dépit d’une assez forte irrégularité, rappelaient beaucoup la figure de Louis XI et respiraient un certain air d’intelligence et de force". Autour de Jeanne, l’on s’apitoie, on lui conseille de faire le premier pas ; la réponse n’est ni révoltée, ni aigrie mais humble "Je n’oserai parler à lui car, vous et chacun, voit bien qu’il ne fait compte de moi".
Trompée, répudiée, sa fidèlité et son dévouement demeurent intacts envers son époux
Louis l’ignore et la trompe. Elle n’en sera pas moins l’infirmière constante et fidèle au chevet du duc, lors de longues semaines de maladie. Elle ira même jusqu’à implorer grâce à genoux pour lui, auprès du roi Charles VIII, son frère. En effet, à la mort de Louis XI, le fils qu’il a eu enfin, devient roi sous le nom de Charles VIII. Or, Louis d’Orléans, qui a appuyé la révolte des Bretons contre la couronne de France, est arrêté et emprisonné. Ce ne sera qu’après plusieurs démarches humiliantes auprès de son frère, que Jeanne obtiendra du roi la libération de son mari.
Celui-ci ne lui en garde pas une reconnaissance particulière. Cependant un tel dévouement l’impressionne. Quelques années plus tard, il avouera au cardinal d’Amboise, alors son conseiller : "Ce qui me met au désespoir c’est que je n’ai point de raison ; je me hais moi-même de haïr une personne qui m’a toujours constamment aimé et qui a fait pour moi des choses qui auraient touché tout autre coeur que le mien..." Jeanne a donné tout l’amour dont elle est capable à un homme qui n’a pas su l’aimer parce qu’elle est difforme. Elle l’accepte, mais non pas à la manière d’un Cyrano qui -quelle que soit l’admiration que provoque le personnage- agit pour son "panache" propre et finalement pour lui-même. Elle non ; elle accepte son état, pour l’amour du Seigneur et de cet homme auquel le sacrement l’a unie.
Après la mort de Charles VIII, lorsque Louis d’Orléans devient lui-même Louis XII en montant sur le trône, une dernière étape, un ultime abandon est demandé à celle qui est maintenant reine de France. Car devenu roi, Louis d’Orléans décide aussitôt de faire annuler son mariage. Après plusieurs mois d’attente, la réponse de Rome arrive enfin, favorable à Louis. Déchue de ses droits d’épouse et de reine, la fille de Louis XI se voit alors préférer Anne de Bretagne que Louis XII épouse dans les jours qui suivent la sentence romaine. Jeanne est envoyée en Berry dont on lui donne le titre et la charge de duchesse.
La décision de nullité l’a atteinte de plein fouet tant elle lui est inattendue. Pendant vingt-six années Jeanne s’est crue liée par le mariage et s’est spirituellement donnée tout entière à une vocation d’épouse ; mais dans la vie de cette femme au coeur de souveraine, la foi est plus forte que les évènements les plus contraires. Cette dernière humiliation marque en même temps sa libération pour l’accomplissement de la promesse faite jadis à l’enfant. Dieu est fidèle.
Si elle a accepté pendant trente ans un mariage qui ne sera même pas consommé, un devoir d’état qui ne lui sera même pas reconnu, à Bourges, elle va réaliser son aspiration à la vie consacrée. Deux années seulement s’écoulent entre l’arrivée de la duchesse en Berry et sa fondation de la congrégation de l’Annonciade. Une congrégation dont le caractère spécifique est de servir le Christ par l’imitation des vertus de Marie, selon le voeu de la Vierge elle-même : "Fais mettre en une règle ce que tu trouverais écrit de moi dans l’Evangile".
Et Jeanne dégagera ainsi de l’Ecriture les dix vertus principales de la mère du Christ, "prudence, pureté, humilité, vérité, louange, obéissance, pauvreté, patience, piété et lance de compassion" qui deviennent les colonnes du règlement spirituel de l’Ordre. "Que ceux qui les voient, dit de ses filles cette mère spirituelle de trente-neuf ans, voient Marie vivant encore dans ce monde".
Quelques dix-huit mois après avoir prononcé ses voeux, elle tombe malade d’épuisement et s’éteindra doucement le 4 février 1505, au château de Bourges, à l’âge de quarante et un ans, après avoir dit adieu à ses soeurs et fait murer la porte qui la reliait sur terre au couvent. Cinquante-six ans plus tard, lorsque les huguenots violent sa tombe pour brûler son corps, l’on s’aperçoit qu’il n’a subi aucune décomposition. Il n’en est pas moins réduit en cendres et jeté à tout vent comme une autre semence, après celle de la bergère de Domrémy, jetée à la Seine quelques années plus tôt.
Jeanne de France a eu la vocation de Marie au pied de la Croix
Le monde a refusé Jeanne depuis sa naissance et jusqu’après sa mort, mais nulle force au monde n’est assez puissante pour juguler la fécondité des enfants de Dieu, car alors, dit saint Paul, "ce n’est plus moi qui vis, mais Lui, en moi...", et qui pourra Lui résister ? La fécondité de Jeanne, c’est d’abord la conversion de Louis XII. Venu se recueillir sur son tombeau quelques jours après la mort de celle-ci, il y verse les larmes d’un vrai repentir et y puise la force morale qui le fera surnommer bientôt le "père du peuple".
Quant à l’Annonciade, elle aura jusqu’à cinquante fondations nouvelles que la Révolution exterminera en quasi-totalité. Aujourd’hui pourtant, plusieurs couvents ont retrouvé vie en Belgique et en France. Mais quels qu’aient été les ravages historiques subis par l’Ordre, la congrégation de l’Annonciade n’en a pas moins préparé - dans une époque particulièrement troublée par le protestantisme et ses refus - l’oeuvre et le rayonnement de la spiritualité d’un Grignion de Montfort qui donnera aux chrétiens, deux siècles plus tard, le secret de la vraie dévotion de Marie...
Epouse de tout ce qui l’a enchaînée, Jeanne de France a eu la vocation de Marie au pied de la Croix : la vocation de celle qui a donné tout ce qu’on lui a pris, et on lui a tout pris. Canonisée par Pie XII le 8 mai 1950, elle est, après Clotilde, Radegonde et Batilde, la quatrième sainte reine de France. »
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Marie de Nazareth sainte Jeanne de France fondatrice de l Annonciade
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