Sainte Jeanne d’Arc

mardi 16 mai 2017
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Jeanne d’Arc proclamée sainte par l’Eglise le 16 mai 1920



« Le Pape a gravi les degrés de son trône. La cérémonie commence.
Les représentants de la cause de Jeanne d’Arc, à trois reprises, sollicitent le Souverain Pontife de leur accorder sa canonisation. Derrière cette triple sollicitation, j’entrevois les tribunaux apostoliques qui ont siégé, les Congrégations qui ont débattu, les Consistoires qui ont conclu. Dans cette demande renouvelée il y a toutes les études de la science et la force du miracle contraignant les lois de la nature à faire resplendir les lumières du ciel. A chaque instance le Pape fait répondre en son nom par Mgr Galli, secrétaire des Lettres aux princes. De sa première réponse j’extrais ces lignes : « ... Ce rite solennel comble les vœux du Saint-Père ; sa reconnaissance monte vers Dieu, dont la bonté lui accorde non seulement d’en voir le jour heureux, mais aussi d’y remplir le rôle principal... Ce qui réjouit surtout le cœur du Souverain Pontife, c’est la présence, aux premiers rangs de cette immense assemblée, de la France avec son ambassadeur et ses évêques. Le Saint-Père est convaincu que l’enthousiasme avec lequel ce peuple généreux honore Jeanne d’Arc sa Libératrice sera pour lui dans l’avenir un gage de salut. Mais dans une chose de telle importance Sa Sainteté veut que tous ceux qui sont ici s’unissent pour invoquer Dieu par l’intercession de Marie immaculée, de Joseph, son bienheureux époux, des princes des apôtres Pierre et Paul et de tous les saints. »

Les chantres pontificaux font retentir alors les invocations répétées des litanies des saints. La masse des fidèles y répond unanimement. Cette prière qui monte, insistante, vers le ciel, impressionne, édifie, soulève l’âme.

Aussitôt terminés ces derniers et pressants appels, la seconde instance se produit. Le Saint-Père se met à genoux, récite le Miserere, fait demander à l’assemblée entière d’invoquer les lumières de l’Esprit-Saint, auteur de la Sagesse, puis il entonne le Veni Creator.

Après l’hymne, l’instance se renouvelle plus pressante que jamais. Alors Mgr Galli, une troisième fois prend la parole et dit : « Voici donc venir l’heure que les bons attendent depuis si longtemps. L’autorité de Pierre va sanctionner la vertu universellement suréminente de Jeanne d’Arc. Que l’univers catholique dresse l’oreille et qu’il vénère dans l’héroïne, libératrice admirable de sa patrie, une splendide lumière de l’Église triomphante ! »

A ces mots, l’assemblée tout entière se lève, et le Pape, mitre en tête, agissant en tant que docteur et chef de l’Église universelle, prononce cette solennelle Sentence :

« En l’honneur de la sainte et indivisible Trinité, pour l’exaltation de la foi catholique et pour l’accroissement de la religion chrétienne, par l’autorité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, des bienheureux apôtres Pierre et Paul et la Nôtre ; après une mûre délibération et ayant souvent imploré le secours divin, de l’avis de nos Vénérables Frères les cardinaux de la Sainte Église Romaine, les patriarches, archevêques et évêques présents dans la ville, Nous décrétons et définissons sainte et Nous inscrivons au catalogue des saints la bienheureuse Jeanne d’Arc, statuant que sa mémoire devra être célébrée tous les ans le 30 mai dans l’Église universelle. »

Quand le Saint-Père eut achevé, ce fut un instant d’émotion intense qui domina l’assemblée. On sentait toute la grandeur de l’acte surnaturel accompli, et les yeux ne quittaient le trône pontifical que pour s’élever vers le ciel comme s’ils cherchaient à découvrir quelque chose du triomphe éternel de Jeanne. En effet, la sentence infaillible de l’Église de Jésus-Christ vient maintenant de définir ce qu’est en réalité notre héroïque Libératrice : une sainte pour l’éternité.

Cependant Benoit XV a entonné le Te Deum, tandis que le bourdon de Saint-Pierre s’agite et donne le branle à toutes les cloches de Rome. L’hymne d’actions de grâces achevé, le premier des cardinaux diacres entonne le verset : « Sainte Jeanne d’Arc, priez pour nous afin que nous devenions dignes des promesses de Jésus-Christ, Alléluia ! » Le Souverain Pontife chante l’oraison de la nouvelle Sainte, et donne à l’assemblée la bénédiction papale.

La Messe solennelle pontificale commence alors avec toute la merveille de ses cérémonies et le concours de chants magnifiques exécutés avec une admirable perfection.

Benoît XV gravit l’autel de la Confession ; tous les fidèles présents dans Saint-Pierre peuvent l’y apercevoir, s’unir à sa prière. Le Saint-Père revient quelque temps au trône prononcer l’homélie, car il veut indiquer immédiatement le sens divin de ce qu’il vient de faire. Dans un latin d’une élégance admirable, Benoit XV rappelle d’abord cette parole de saint Paul :

« Dieu choisit les faibles de ce monde pour confondre les puissants ». Une faible femme a fait retentir l’univers de ses faits merveilleux et aujourd’hui nous célébrons sa gloire éternelle. Choisie providentiellement, Jeanne, par les miracles que le ciel lui a donné d’accomplir, est une attestation de l’existence de Dieu. En effet, si les voix secrètes qu’elle a entendues ont transformé une pauvre petite jeune fille ignorante en une héroïne accomplissant les plus durs sacrifices, connaissant la science militaire, remportant des victoires impossibles aux hommes, pénétrant les secrets des cœurs et prophétisant l’avenir, cela prouve que le doigt de Dieu était là. Tous ceux qui ont tenté d’expliquer Jeanne sans Dieu se sont perdus dans un labyrinthe aux dédales inextricables.

Avec raison la France se glorifie de Jeanne, mais la sainte Église aussi triomphe en elle. Dieu fit naître cette enfant pour sauver sa patrie, mais en même temps l’héroïne fit tout pour établir le règne de Jésus-Christ. Avant de rien entreprendre, elle invoquait ardemment l’aide du ciel ; victorieuse, elle attribuait le succès non à elle-même, mais au Maître de toutes choses. Sa seule présence refrénait la licence des camps et donnait l’exemple du respect de Dieu. Sa mort manifeste davantage encore cette vérité. Pour prouver son mandat céleste, elle accepte le plus dur supplice, et, au milieu des flammes crépitant déjà autour de son corps virginal, elle embrasse avec amour l’image du divin Crucifié, recommandant son âme à Celui pour lequel seul elle avait toujours vécu.

Après cinq siècles les vertus de Jeanne sont consacrées magnifiquement près du tombeau de saint Pierre ; elle reçoit les honneurs qui manifestent la gloire éternelle dont elle jouit au ciel depuis longtemps. Cela n’arrive pas sans un secret dessein du ciel à une époque où les gouvernements ne veulent plus reconnaître le règne du Christ. Et pourtant « il faut qu’il règne, Celui que son Père a établi héritier de toutes choses.

Que les rois donc et les juges de la terre comprennent que Celui qui a sauvé par la main d’une femme une puissante nation d’un péril extrême, est le même qui dirige souverainement le cours des affaires de ce monde, et que ce n’est pas toujours en vain qu’on refuse de se soumettre à sa volonté souveraine. Et que les catholiques, s’inspirant des exemples de Jeanne d’Arc, se confient dans son patronage, soumettent en toutes choses leur esprit et leur cœur à Jésus-Christ ; servir le Sauveur, c’est régner maintenant et dans l’éternité. »

Quand il eut fini de parler, le Souverain Pontife reçut l’offrande mystique des canonisations, cinq cierges, le pain, le vin et l’eau pour le Saint Sacrifice, avec les colombes, les tourterelles et les petits oiseaux.

Le Pape est de nouveau à l’autel, sur lequel on a déposé sa mitre précieuse et sa tiare aux trois couronnes pour attester que le Seigneur tout-puissant c’est le Jésus dont il est le Vicaire ; puis voici l’Élévation. Le Souverain Pontife n’élève pas seulement l’hostie et le calice comme les autres prêtres, mais il montre à l’assemblée tout entière, en se tournant vers elle, le corps et le sang du Christ, tel un trophée de victoire, la victoire de l’amour divin, tandis que du haut de la coupole résonnent triomphantes les trompettes d’argent.

Un peu plus tard, pour la sainte Communion, le Pape va s’agenouiller à son trône tandis que le cardinal diacre lui porte le Très Saint Sacrement entouré des honneurs divins ; tous les prélats sont prosternés, et la garde-noble, genou en terre, salue de l’épée.

La cérémonie s’achève sans que les assistants aient songé à leur fatigue. Une heure de l’après-midi a sonné quand on quitte la basilique.

Les Français se répandent dans Rome, racontant leurs joies et disant leurs espérances. Vers 6 heures du soir, ils remplissent l’église du Gesù, où Mgr Touchet leur fait entendre sa voix éloquente et où le cardinal Amette chante le salut d’actions de grâces ; cet office religieux termine ce jour sacré pour la France.

Le lendemain, Benoît XV veut recevoir ses enfants et leur parler. Nulle salle de Rome n’étant assez vaste pour les réunir, c’est à Saint-Pierre que le Pape les a convoqués de nouveau. Quelle majestueuse assemblée ! Ce sont tous ceux qui, hier, étaient là pour la canonisation ; ils prennent place autour de l’autel pontifical devant lequel on a dressé un trône. Benoît XV est arrivé. La foule qui, en l’attendant, priait à haute voix, ou chantait le Credo et l’hymne désormais national A l’Etendard, s’est tue et écoute avec-recueillement.

L’évêque d’Orléans, dont le labeur persévérant a obtenu l’heureuse terminaison du procès de canonisation, dit éloquemment au Pape le merci national, mais c’est bien aussi un merci de l’univers entier ; il s’étend à tous les bienfaits répandus sur la France et sur le monde par Benoît XV durant la guerre et depuis la paix.
Enfin s’élève la voix du grand et immortel Pontife. Le Pape s’avance au bord du trône et prononce, en français, un éloquent discours plein des leçons les plus graves. Après un remerciement à Mgr l’évêque d’Orléans, un hommage et un regret à Pie X, trop tôt rappelé au ciel pour présider ces glorieuses fêtes, Benoît XV continue :

« Nous ne pouvons pas dissimuler la profonde satisfaction de Notre âme à la pensée qui’il était réservé à Nous de couronner Jeanne d’Arc de l’auréole des saints. L’exercice de ce haut ministère Nous a ainsi permis d’accomplir un acte que Nous savons aller droit au cœur de nos chers fils de France.

« Ils étaient depuis de longs siècles si dévots à Jeanne d’Arc qu’ils voulaient que son nom fût respecté et aimé chez tous les peuples. Ils étaient si reconnaissants pour les bienfaits que leur patrie avait reçus de Jeanne qu’ils voulaient que ses gestes glorieux ne fussent pas ignorés du dernier enfant du plus humble village.
« Mais quelle voix plus puissante que celle d’un décret de canonisation aurait pu porter au delà des mers le nom de l’héroïne française ? »

Désormais, aux questions posées sur notre héroïne nationale, la réponse sera : « Elle est sainte ! — Jeanne d’Arc est sainte ; c’est pourquoi on ne doit imaginer aucun défaut en la vierge de Domremy. C’est pourquoi toute grandeur, toute beauté de vertu doivent se supposer en elle. Oh ! sublime éloquence d’un décret de canonisation, qui confirme non seulement les travaux des historiens, mais les fait rayonner bien plus loin que ne sauraient aspirer les publications des savants et qui donne surtout à ces dernières cette certitude de la vérité et cette universalité de doctrine auxquelles ne pourraient prétendre par eux-mêmes les ouvrages les mieux pensés, les conceptions les plus approfondies des sages de la terre ! »

Voici, enseigne le Pape, la grande vérité qui se dégage de la canonisation :
« La figure de Jeanne d’Arc est telle qu’on ne peut la bien connaître qu’à la lumière du surnaturel. »

Benoît XV va tirer ensuite une conclusion pratique :

« Le décret de canonisation de la Pucelle d’Orléans renferme aussi une leçon que l’Église offre à ses enfants pour leur progrès spirituel.

« Oh ! combien de fois, Nos chers fils, vous avez entendu dire que le chrétien doit suivre la voix de Dieu !... Or, parmi ces âmes, apparaît radieuse la figure de Jeanne d’Arc qui, en toute chose et partout, s’est laissé conduire par la voix de Dieu. »

Le Souverain Pontife souhaite donc à tous les catholiques, et aux Français en particulier, d’imiter pleinement la nouvelle Sainte, et termine son discours par cette solennelle prière :

« O Seigneur tout-puissant qui, pour sauver la France, avez jadis parlé à Jeanne et, de votre voix même, lui avez indiqué le chemin à suivre pour faire cesser les maux dont sa patrie était accablée, parlez aussi aujourd’hui, non seulement aux Français qui sont ici réunis, mais encore à ceux qui ne sont ici présents qu’en esprit, disons mieux, à tous ceux qui ont à cœur le bien de la France. Parlez, Seigneur, et que votre parole soit la bénédiction qui soutienne les évêques, qui facilite aux autorités, dont Nous saluons ici les très dignes représentants, la tâche d’assurer la vraie grandeur de la patrie, qui persuade tout Français de la nécessité de suivre la voix de Dieu, afin qu’après avoir imité Jeanne d’Arc ici-bas, il soit donné à tous de participer un jour à la gloire de l’héroïne devant laquelle Nous avons enfin le bonheur de Nous incliner, en lui disant : Sainte Jeanne d’Arc, priez pour nous ! sainte Jeanne d’Arc, priez pour votre patrie ! »

Ce n’était pas assez pour le cœur du Pontife bien-aimé. Le même jour, il reçoit au Vatican le général de Castelnau, avec les sénateurs et députés venus de France, la famille de Jeanne d’Arc si pleine de gratitude envers Benoît XV, et les six cents prêtres du pèlerinage qui ne repartiront pas sans emporter une parole et un sourire du Pape.

Le triduum en l’honneur de la nouvelle Sainte commence le 18 mai. Durant trois jours, un cardinal chantera solennellement la sainte Messe dans notre église Saint-Louis des Français, tandis que le soir d’autres princes de l’Eglise officieront au Gesù et que des orateurs y prononceront l’éloge de la Sainte.
Maintenant, une ère nouvelle commence pour la Pucelle d’Orléans ; son triomphe est incontesté. »

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