lettre de Mgr Brouwet sur la question controversée de la PMA

mardi 18 juillet 2017
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PMA : lettre de Mgr Brouwet, évêque de Tarbes et Lourdes



Lettre de Mgr Nicolas Brouwet, évêque de Tarbes et Lourdes, au sujet de la PMA. Le 27 juin dernier le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) a rendu un avis sur des questions de bioéthique. J’aimerais vous livrer quelques réflexions et interrogations à ce sujet.

La gestation pour autrui (GPA)

Le CCNE maintient fermement son opposition à ce procédé en invoquant le respect de la personne humaine, le refus de l’exploitation de la femme, le refus de la réification de l’enfant, l’indisponibilité du corps humain et de la personne humaine. Pensant qu’il ne peut y avoir de GPA éthique (c’est-à-dire justifiée moralement), le
comité propose même le renforcement de son interdiction en élaborant une convention internationale à ce sujet.

La note du CCNE est extrêmement sérieuse, bien argumentée. Elle est lisible par tous et j’en recommande vivement la lecture (le texte est consultable sur le site du comité). Elle explique les enjeux de l’autorisation de l’AMP pour les couples de femmes et pour les femmes seules. Elle s’interroge sur ce qu’elle appelle des butées, c’est-à-dire les questions éthiques que poserait cette autorisation. Et finalement, elle donne des recommandations.

L’assistance médicale à la procréation (AMP)

Le texte fait, dans un premier temps, état des « disjonctions » qu’entraînerait la pratique de l’AMP pour des couples de femmes ou des femmes seules.
Disjonction entre sexualité et procréation, la procréation ne résultant plus d’un acte sexuel mais d’une insémination artificielle grâce à un donneur de sperme anonyme (IAD). L’enfant n’est plus le fruit d’une union physique amoureuse mais
d’une manipulation technique avec l’intervention d’un tiers.

C’est précisément pour cette raison que la Congrégation pour la Doctrine
de la Foi a exprimé son désaccord dès 1987 sur la procréation médicalement assistée. « L’enfant a le droit d’être le fruit de l’acte spécifique de l’amour conjugal de ses parents. » DV, 823

Disjonction médicale : puisque la demande d’AMP ne fait pas suite à une situation d’infertilité, comme c’est le cas actuellement pour les couples d’hommes et de femmes qui demandent l’AMP. C’est-à-dire que l’on convoque la médecine
et sa technique, non pour faire face à une infertilité dans un couple d’homme et de femme, mais pour concevoir un enfant en dehors d’un couple hétérosexuel, « 
en absence de père institutionnalisé ». L’AMP n’est pour l’instant autorisée par la loi que pour les couples composés d’ « un homme et d’une femme vivants en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins
deux ans et confrontés à une infertilité pathologique. »

Disjonction entre procréation et filiation : c’est le principe même de l’AMP ; le donneur (ou géniteur) est distinct du « père ». La nouveauté étant ici qu’il y aura toujours un donneur mais plus de « père », d’homme ayant juridiquement la place du père.

Disjonction entre maternité génétique et maternité gestationnelle : dans les couples de femmes certaines veulent alterner les grossesses. D’autres voudraient avoir recours à la fécondation in vitro de telle sorte que l’une puisse donner l’ovocyte et l’autre porter l’enfant.

Le CCNE s’interroge sur la nouveauté de l’AMP proposée aux couples de femmes ou aux femmes seules. Il y a là un choix délibéré d’élever un enfant « dans un cadre
parental qui ne comprend pas de père »,contrairement aux situations accidentelles
où le père est décédé, absent ou inconnu. On élimine alors l’image du père dans l’éducation de l’enfant. Il n’y a plus qu’un donneur (qui, pour l’instant en France, a le droit à l’anonymat).

« Sous le terme de "père", revient s’unifier de manière complexe tout ce que les disjonctions propres à l’AMP amènent à séparer : le géniteur masculin (donneur
de sperme), le père juridique reconnu selon les règles de filiation, la figure
masculine par opposition au féminin, le double lignage généalogique par opposition à l’unicité des familles monoparentales, la différence au sein du couple, chacun de ces facteurs étant important pour l’enfant, sur un plan matériel, psychique et symbolique,
dans la construction de soi, ainsi que pour la société dans son ensemble.
Ne pas s’engager dans un processus qui organiserait l’absence de père, ou considérer qu’il s’agit de représentations en pleine mutation et que l’on ignore
encore aujourd’hui comment les sujets concernés vont se construire dans ces nouvelles situations, constituent l’une des expressions de ce point de butée. »
(p.26)

Pour l’instant, reconnaît le CCNE, il n’existe pas d’études fiables sur l’évolution des enfants des familles homoparentales. Des études ont été menées mais elles ne sont pas concluantes d’un point de vue scientifique.

Les questions posées par les conditions d’accès à l’AMP

Les techniques d’AMP sont coûteuses ; le don de gamètes est rare. La CCNE fait remarquer que si l’on veut maintenir le principe de gratuité des dons d’organes et la prise en charge des traitements d’infertilité par la solidarité nationale, on se heurtera vite à un manque de gamètes. Avec trois questions conséquentes :
Faudra-t-il donner la priorité à l’AMP pour les couples d’hommes et de femmes touchés par l’infertilité ?

Faudra-t-il favoriser le don de gamètes en rémunérant les donneurs ? On risque alors de « marchandiser » le corps humain avec toutes les dérives possibles.
L’assurance maladie doit-elle prendre en charge une procédure qui ne relève pas du soin ?

Si l’on réserve la prise en charge financière par l’assurance maladie de l’AMP aux seuls couples atteints d’infertilité, on réservera l’AMP dite « sociétale » aux femmes les plus riches.

La recommandation du CCNE

Après avoir exposé les questions éthiques posées par l’AMP, et donc les doutes qu’elle suscite, le CCNE recommande tout de même d’en donner l’autorisation légale.

Pour plusieurs raisons :

• La demande des femmes et la reconnaissance de leur autonomie.
• L’absence de violence faite à un tiers dans la technique de l’AMP (pour le comité d’éthique il y a une violence dans la GPA qu’il ne reconnaît pas dans l’AMP).
• La possibilité d’adaptation des enfants à une enfance sans père.
• L’existence de situation de fait : des femmes ont déjà eu recours à cette technique à l’étranger.
• La législation autorisant l’AMP dans des pays limitrophes.
• La stigmatisation de nouvelles formes de vie familiale puisque les couples de femmes ou des femmes seules seraient empêchés de construire une famille.

La conclusion du CCNE s’appuie donc surtout sur le droit des femmes et leur autonomie, « la liberté des femmes de procréer ou non » (p.18) et sur la crainte de refuser à des couples de femmes un droit nouveau. Paradoxalement, alors que le CCNE refuse l’idée d’un « droit à l’enfant » pour la GPA, il l’accepte pour l’AMP en faveur des femmes qui ne sont pas touchées par l’infertilité médicale.

C’est un peu comme si la conclusion du CCNE se situait sur un autre terrain que l’étude elle-même. Comme si elle avait été rédigée, non pas en tirant la conclusion des « butées », mais a priori, en ayant recours à un autre point de vue, celui du droit
des femmes seules ou en couple de même sexe.

Le CCNE affirme bien que « la société n’a pas pour seule fonction de promouvoir la liberté des personnes et l’égalité dans l’accès aux techniques existantes, elle a aussi
la responsabilité de tenir compte des conséquences des nouvelles situations
qu’on lui demande d’autoriser et, partant, de les organiser »
(p.18).

Pourtant, en conclusion, le bien de l’enfant est finalement sacrifié aux désirs des adultes. Il n’y a peut-être pas de violence faite à une tierce personne adulte dans l’AMP proposée aux couples de femmes ou aux femmes seules. Mais il y a très certainement une violence faite à l’enfant privé délibérément de père.

L’avis du CCNE de 2005

On peut s’interroger par ailleurs sur la pérennité des conclusions du CCNE qui déclarait dans son avis n°90 de novembre 2005 : « L’AMP a toujours été destinée
à résoudre un problème de stérilité d’origine médicale et non à venir en aide à une préférence sexuelle ou à un choix de vie sexuelle.

L’ouverture de l’AMP à l’homoparentalité ou aux personnes seules ouvrirait
de fait ce recours à toute personne qui en exprimerait le désir et constituerait
peut-être alors un excès de l’intérêt individuel sur l’intérêt collectif.
La médecine serait simplement convoquée pour satisfaire un droit individuel à l’enfant. » (§ I.3.5).

En 2005, donc, le comité d’éthique proscrit la légalisation de l’AMP pour les couples homosexuels ou pour les personnes seules, en soulignant qu’on ne peut pas utiliser la médecine pour satisfaire un droit à l’enfant. En 2017 le même comité autorise l’AMP en estimant que le désir des femmes de procréer passe avant toutes les questions relatives à l’enfant.

Les fondements de la réflexion éthique changent donc en quelques années. Cela pose un problème de méthode. Recourir à l’éthique, c’est nous inviter à prendre du recul, de la hauteur, nous extraire des modes et des polémiques pour distinguer ce qui est durable, permanent, et ce qui est provisoire, passager ; c’est faire reposer la réflexion sur des principes qui dépassent les intérêts particuliers et les désirs individuels. A moins, bien sûr, que cette éthique ne repose plus que sur la
satisfaction des attentes de chacun. Il suffit alors qu’un groupe réclame ce qu’il considère comme un nouveau droit pour le justifier moralement. Si la technique le permet, si le financement est assuré, si des demandes sont faites en nombre suffisant, pourquoi ne pas légaliser ?

Ce qui est légal devient moral

Une autre question se pose : faire travailler un comité d’éthique avant de voter une loi est tout à l’honneur de nos institutions. Mais on renforce alors l’idée que ce qui est légal est moral ; il l’est d’autant plus qu’un comité d’éthique a donné son aval.

On passe alors d’un droit accordé à des groupes extrêmement minoritaires à la reconnaissance et à la banalisation de comportements qu’on jugeait jusque-là contraires au bien de la personne humaine. On passe de la légalisation de désirs
particuliers à la normalisation morale de ces désirs. Légaliser revient à moraliser.

On présente alors sans discernement aux générations les plus jeunes des pratiques extrêmement contestables moralement et que les familles n’ont pas du tout
envie de proposer comme modèle à leurs enfants.

Voter de telles lois aura des conséquences sur la manière dont on va ensuite envisager les relations familiales, le regard sur l’enfant à naître, l’humanisation du désir, la place du père, la différence sexuelle. La légalisation de telles pratiques a une portée culturelle.

Source :

Lettre de Mgr Brouwet PMA