L’action exemplaire de SOS Chrétiens d’Orient
Entretien avec Charles de Meyer, 22 ans, co-fondateur et président
de l’association SOS Chrétiens d’Orient
Entretien avec Charles de Meyer, 22 ans, co-fondateur et président
de l’association SOS Chrétiens d’Orient
Quelle est la genèse de l’aventure SOS Chrétiens d’Orient ?
Elle a débuté autour d’une bière entre plusieurs amis. Un journaliste de France 24 en reportage au Pakistan nous a informés de la prise de Maaloula en Syrie par les djihadistes. Nous avons décidé d’apporter quatre tonnes de médicaments, vêtements et jouets dans ce pays. Après avoir récolté des cartons de matériel d’octobre à décembre, nous avons apporté tout cela pour Noël dans diverses communautés de Damas.
Vous avez rapidement transformé cet élan en structure permanente ?
Nous avons décidé de développer une association qui se fonde sur trois piliers. Le premier, c’est l’action concrète. Nous ne voulions pas seulement mobiliser les Français, mais être auprès des chrétiens d’Orient. Aller les voir, partager. Les djihadistes français amenaient le pire de ce qu’il y a en France en Syrie et en Irak, nous voulions essayer d’apporter le meilleur de notre pays. Faire une sorte de contre-djihadisme.
Le second est une ouverture totale aux communautés chrétiennes orientales, qu’elles soient orthodoxes ou catholiques, pour les découvrir, retisser des liens entre nos deux chrétientés et, par là, nous enrichir spirituellement, humainement, culturellement.
Le troisième pilier est la jeunesse d’esprit de l’association. Pas une jeunesse qui fasse dans le jeunisme mais une jeunesse dans la manière d’aborder la question, avec, nous l’espérons, une totale ouverture sur la réalité du vécu des chrétiens orientaux.
Quel est votre mode d’action ?
Il consiste à aller sur place et, avant d’intervenir, à évaluer la situation en fonction du ressenti de la population, des autorités ecclésiastiques et politiques. À faire une sorte de photographie de la société dans laquelle nous allons. Au moment de nous implanter, de travailler sur le long terme, nous avions une approche plus fine, des réseaux et des contacts établis. Nous pouvions dès lors répondre à un besoin exprimé par la population au lieu d’apporter un besoin considéré depuis la France. Cela change la manière d’aborder les problèmes, et nous permet de développer une relation « en vérité » avec eux.
Comment a commencé l’aventure irakienne ?
Après l’opération cadeaux en Syrie, nous avons décidé de nous mobiliser pour l’Irak. Nous avons donc débarqué en mars 2014 pour une mission d’exploration, sans rien connaître au pays, avec Benjamin Blanchard, co-fondateur de l’association. Là-bas, après une visite à l’institut culturel français, nous nous sommes rendus à Souleimaniye[1]. Nous y avions noué un contact par Facebook, qui nous a permis de rencontrer plusieurs communautés. De retour à Erbil, nous avons approché des membres de Marioussef, la grande cathédrale chaldéenne. Rentrés en France nous avons immédiatement exploité ces réseaux. À Pâques 2014, nous distribuions quatre tonnes de matériel en Irak.
Votre réseau irakien semble aujourd’hui considérable.
Nous avons tissé un réseau assez satisfaisant, composé d’évêques, de prêtres, avec lesquels nous avons travaillé, notamment lors des situations d’urgence de cet été, mais aussi de représentants locaux, politiques, tribaux, et de gens investis dans la société civile irakienne. François-Xavier, le chef de mission, a développé un réseau plus proche des populations kurdes, qui aujourd’hui accueillent la très grande majorité des réfugiés chrétiens. Et nous collaborons avec les représentations officielles du gouvernement central de Bagdad, avec les autorités kurdes et françaises, l’ONU, et les représentants communautaires chrétiens. Ce réseau nous permet de travailler dans de bonnes conditions, en sécurité, et surtout efficacement. Nous sommes devenus un acteur important au Kurdistan irakien dans le soutien aux chrétiens orientaux.
Pouvez-vous expliquer quels enjeux se jouent autour de la plaine de Ninive ?
Historiquement, les chrétiens de la plaine de Ninive sont les héritiers de la civilisation assyrienne, dont le berceau est le croissant fertile[2]. Ils ont donc une relation très particulière à Mossoul, où se situent les grands musées de leur civilisation attaqués par l’EI. Leur histoire est faite de feu et de sang. Ils ont été bringuebalés dans toute la région, et après de nombreux déplacements sont revenus dans la plaine de Ninive.
Le problème moderne a été l’imposition de frontières coloniales françaises et anglaises qui ne correspondaient en aucun cas à des réalités concrètes locales. D’ailleurs, en août, l’EI a placé des bulldozers entre les frontières irakienne et syrienne pour montrer qu’ils abolissaient la frontière coloniale issue des accords Sykes-Picot (16 mai 1916).
Beaucoup d’Irakiens ont émigré à Bagdad dans les années 30-40. Dès 2003, il leur est devenu impossible d’y rester du fait de la destruction du pays après l’invasion américaine. Ils sont donc revenus à Mossoul et dans la plaine de Ninive. Cette plaine a été prise par l’État islamique en août dernier. Ils ont dû émigrer à nouveau.
Ces éléments déterminants expliquent une partie du caractère de la chrétienté orientale. Les chrétiens irakiens ont cristallisé dans leur manière d’être tout ce passé de souffrance. C’est ancré en eux. Souvent des personnes ont perdu 3 ou 4 fois leurs souvenirs, leur maison… leurs racines. C’est pour cela que ce qu’ils vivent aujourd’hui est si terrible et qu’ils sont tentés par l’émigration.
Votre mission au Liban est très active. Sa finalité est-elle également de porter secours aux réfugiés ?
L’objectif est bien plus large. SOS Chrétiens d’Orient cherche à retisser des liens entre la chrétienté française et les chrétientés orientales. Pour retisser un lien, nous faisons une photographie de la situation. Au Liban, elle nous a donné trois principaux axes de travail : l’aide aux réfugiés irakiens et syriens. On parle d’1,5 à 1,7 millions de réfugiés syriens. Les connaître, apporter une aide d’urgence, essayer de travailler avec eux. Le deuxième aspect, c’est le rapprochement de l’ensemble des communautés. À Beyrouth se trouve une importante communauté expatriée française ainsi que diverses églises chrétiennes européennes, libanaises maronites ou grecques catholiques, que nous désirons aider à se connaître, à s’apprécier et à fonder ensemble une Église unie. Ce travail important passe par des temps de prière, des conférences, du réseau. Enfin il faut assurer des urgences humanitaires auprès de certains Libanais, par exemple à Notre-Dame de Jabouleh, au fin fond de la vallée de la Bekaa, à 5mn du village d’Ersal où en août dernier des islamistes de Jabhat Al Nosra ont enlevé des soldats libanais. Il est important de travailler dans ce lieu phare pour enraciner des présences chrétiennes face à l’afflux de réfugiés, de communautés musulmanes en expansion démographique, tandis que le nombre de chrétiens est plutôt en récession. Aider les communautés chrétiennes à rester sur leur terre est pour nous essentiel.
Quelles sont les autres missions en place ou en projet ?
En Syrie, nous avons soutenu la réfection d’une église à Maaloula, installé une cabine médicalisée dans la ville d’Homs, entièrement détruite du fait de la guerre civile syrienne. Nous devons être l’une des rares associations dans une zone tenue par le gouvernement - donc dans laquelle subsistent des chrétiens - à les aider concrètement sur le terrain.
Cet été, avec des communautés religieuses, nous lançons plusieurs camps de vacances pour enfants en Syrie. Nous avons tissé des liens avec les églises locales, avec l’ensemble des patriarcats. Enfin la mise en place d’une structure permanente à Damas est un peu plus compliquée, compte-tenu des conditions géopolitiques et militaires, mais un permanent s’y installe ce mois-ci.
En Jordanie, où se sont réfugiés 10 000 chrétiens irakiens, nous avons reçu de nombreuses propositions. Notre mission d’exploration d’avril s’est très bien déroulée. Nous nous apprêtons à mettre en place une cellule de travail plus focalisée sur de la gestion de camp.
Nous sommes en pleine expansion. Notre association agit grâce aux dons des gens qui nous font confiance, et pour l’instant cela fonctionne très bien. Nous espérons, dans les années à venir, créer des cellules dans tous les pays du Proche-Orient où des communautés chrétiennes ont besoin de nous.
Le ministère des Affaires étrangères vous aurait interdit de vous rendre en Syrie.
Comment faites-vous pour travailler sur place ?
En Syrie, notre association a un but : aider les chrétiens d’Orient. Et pour cela, il faut être auprès d’eux. Or en Syrie, 90% d’entre eux se situent dans une portion bien définie du pays. Personne au monde ne nous interdira d’aller aider les chrétiens de Syrie puisque c’est notre rôle. C’est notre intérêt de faire savoir la réalité de ce qu’ils vivent, de faire connaître les mensonges parfois colportés au sujet de ceux qui les protègent, de faire savoir pourquoi aujourd’hui ils souffrent un martyr. Les chrétiens syriens ont été victimes d’un silence organisé depuis la France, parce que parler de ce qu’ils vivaient n’était pas assez politiquement correct, pas assez médiatiquement vendable. Or nous préférons panser une partie de leurs douleurs en leur montrant qu’une fraternité des chrétiens français existe à leur égard plutôt que de nous égarer dans des commentaires d’ordre politique et médiatique. Peut-être que d’autres sont là pour ça, mais nous, nous sommes là pour retisser des liens avec les chrétientés syriennes. Qui sommes-nous pour juger des raisons de leurs choix ? Subissons-nous le martyr qu’elles subissent ? Je ne crois pas. Subissons-nous la situation humanitaire qu’elles subissent ? Je ne crois pas. Je conseille aux gens d’éviter de porter un jugement sur la souffrance de la chrétienté syrienne.
Car la réalité, c’est que la France a financé une partie de cette souffrance, c’est que la France a considéré par la voix de Laurent Fabius que Jabat Al Nostra (dont je rappelle qu’ils sont une branche d’Al Quaïda) faisait du bon travail en Syrie. La France entretenait autrefois des liens étroits avec ce pays, et une grande partie de la classe moyenne supérieure syrienne parle français. Il faut raison garder sur le sujet syrien, et vis-à-vis d’une association qui essaye de faire de son mieux pour aider les chrétiens syriens. Nous assumons très simplement et avec beaucoup de fierté le fait de travailler là-bas auprès des chrétiens, et bien malin celui qui m’expliquera en quoi cela ne correspond pas à notre vocation initiale.
Comment se déroule l’envoi des volontaires ?
Chacun peut envoyer sa candidature et un CV à contact@soschretiensdorient.fr en expliquant en quelques lignes pourquoi il souhaite aller aider ces chrétiens. Nous rencontrons la personne afin d’évaluer son projet personnel. Elle finance son billet d’avion, et l’association prend en charge les frais sur place.
Nous avons envoyé 80 volontaires cette année au Proche-Orient. C’est l’une de nos grandes fiertés. Ce sont autant de personnes qui parleront à leur entourage du sort des chrétiens d’Orient. C’est ainsi qu’on retisse un vrai lien. La jeunesse française a envie de les aider concrètement, nous leur offrons cette possibilité. Je rencontre toutes les semaines 5 à 6 volontaires désireux de les connaître de façon incarnée. Cela prouve le substrat historique que la France a et maintient avec la chrétienté orientale. Il fonctionne, si on le fait vivre.
Les volontaires courent-ils un danger en travaillant dans ces pays ?
La gestion du danger est largement facilitée par notre connaissance du terrain. Les volontaires sont pris en charge par des personnes qui connaissent parfaitement les lieux dans lesquels ils travaillent. De plus nous n’opérons pas dans les zones tendues. En revanche nous avons conscience de travailler dans des zones de guerre. Nous prenons l’ensemble des dispositions nécessaires pour assurer la sûreté de ces personnes grâce à des dispositifs de sécurité assez pointus, grâce à des collaborations externes à l’association, cabinets de conseil ou avis d’experts militaires et civils. Tout cela a un seul objectif : mettre nos bénévoles dans les meilleures conditions pour travailler. Il n’y a pas eu un problème avec le moindre d’entre eux alors que nous intervenons depuis un an et demi au Liban, en Syrie et en Irak, ce qui montre que nos dispositifs de sécurité et notre connaissance du terrain sont assez efficaces pour assurer au lecteur de L’Homme Nouveau qu’il ne risque pas sa vie. Après c’est un choix personnel, que de se rendre dans ces pays.
Mais faire ce choix, c’est se dire que c’est aussi le rôle des chrétiens français d’aller montrer leur soutien, contre la vision déformée que donnent certains médias de la situation dans ces pays. Nous avons organisé un voyage touristique à Damas, contre l’avis du quai d’Orsay qui nous avait promis les pires problèmes. Il n’y en a pas eu un seul !
Nous pouvons nous permettre cela car nous avons une réelle connaissance de terrain, reconnue et utilisée par d’autres qui nous demandent notre avis. L’ensemble des choses humainement réalisables pour la sécurité de nos volontaires, sans tomber dans la pratique des convois en 4x4 blindés qui empêchent de voir la population, sont mises en œuvres par SOS chrétiens d’Orient.
Quel âge faut-il avoir pour pouvoir partir ?
Nous acceptons les volontaires de 18 à 98 ans. Si une personne a 99 ans et qu’elle est en bonne forme, elle est la bienvenue !
Découvrez notre reportage "Auprès des réfugiés irakiens avec SOS Chrétiens d’Orient", dans le n°1592 de L’Homme Nouveau.
[1] Au sud-est du Kurdistan irakien.
[2] Le Croissant fertile désigne une zone géographique de 400.000 à 500.000 km2 en forme de croissant, irriguée par le Jourdain, l’Euphrate, le Tigre et le Nil. Il comprend les États actuels du Liban, de Chypre, du Koweït, d’Israël et de Palestine dans leur intégralité, ainsi que des régions de Syrie, Irak, Jordanie, Iran, Turquie et Égypte.