La canonisation de Jeanne d’Arc le 16 mai 1920
« Le 7 mai, à 9 heures du matin, tous les archevêques et évêques présents à Rome, c’est-à-dire environ trois cents, prirent le chemin du Vatican, ainsi que les abbés mitrés et les supérieurs d’Ordres religieux. A leur arrivée dans la cour Saint-Damase, ils se dirigeaient vers les salles du premier étage qui leur étaient désignées. Là, des prélats procédaient à l’appel nominal et remettaient à chacun le programme officiel des deux cérémonies des 13 et 16 mai, ainsi qu’un bulletin de vote. Dans les loges magnifiques où ils attendent, les prélats trouvent de longues tables et tout ce qui est nécessaire pour écrire d’avance et signer leur vote.
L’heure fixée approche ; les archevêques et évêques gagnent la salle du Consistoire. Déjà, à 9 h 1/2, le Saint-Père s’y est rendu pour tenir avec les cardinaux un Consistoire secret, puis il s’est retiré dans ses appartements. A 10 heures précises, Benoît XV, escorté par la cour pontificale au complet, fait son entrée. Il prend place au trône et prononce aussitôt le mot : Recedant ! Tous les laïques du cortège, princes, camériers de cape et d’épée, gardes-nobles quittent alors la salle. Benoît XV est en chape et en mitre ; il n’a plus autour de lui que les évêques et les prélats de sa maison. Devant lui, les cardinaux sont assis, formant un grand rectangle ouvert du côté du trône. Derrière eux sont placés les patriarches, archevêques et évêques, et, vers le fond de la salle, les supérieurs d’Ordres religieux.
Après avoir invoqué les lumières du Saint-Esprit, le Souverain Pontife, dans une très brève allocution, rappelle ce qui a été fait dans les deux Consistoires précédents, affirme de nouveau son intention de canoniser les trois Bienheureux ; mais, comme la chose est de grande importance et qu’elle est intimement liée à la sainteté de la foi catholique, il demande les suffrages de la noble assemblée.
Alors chacun des cardinaux se lève par ordre de préséance, et lit l’avis motivé qu’il a préparé pour la circonstance ; la lecture terminée, le cardinal s’incline sous la bénédiction pontificale. L’émission des votes des membres du Sacré Collège, faite sous cette forme, dure une heure entière.
Pour les archevêques, évêques et supérieurs d’Ordres, deux d’entre eux seulement doivent lire un avis motivé. Après cela, chacun des prélats présents se lève à son tour et, à haute voix, émet son vote suivant une brève formule.
Les trois canonisations furent votées à l’unanimité. Quand tous les suffrages furent exprimés, le Saint-Père, constatant cette unanimité des votants, les convia de nouveau à assister aux canonisations et leur demanda de continuer à prier pour les trois solennelles cérémonies.
Cependant, les Français continuaient d’arriver à Rome en grand nombre. A côté des pèlerins venus par groupes, il y a ceux qui ont voyagé isolément. Le nombre de nos compatriotes augmente d’heure en heure durant cette dernière semaine. On peut l’estimer entre quinze et vingt mille. Ils ont à leur tête six cardinaux et soixante-neuf évêques de France, seize évêques missionnaires français et plus de six cents prêtres venus de tous les points du territoire.
La France officielle elle-même participera à la canonisation. Depuis le 6 janvier 1904, notre gouvernement n’avait plus paru au procès canonique de la Pucelle d’Orléans. Or, M. Doulcet, ministre de France, est en mission auprès du Pape depuis quelques mois ; non seulement il s’associera aux démonstrations nationales, mais il annonce qu’un ambassadeur extraordinaire vient d’être désigné à Paris pour assister officiellement à la cérémonie du 16 mai. Même le choix du gouvernement français ne pouvait être plus heureux ; c’est en effet un des bons historiens de Jeanne d’Arc qui est désigné pour cette mission : M. Gabriel Hanotaux, de l’Académie française, ancien ministre des Affaires étrangères.
M. Hanotaux descendit au palais voisin de l’église de Saint-Louis des Français, propriété nationale. La vieille demeure revit un instant les splendeurs d’autrefois. Un des premiers actes du nouvel ambassadeur lut de recevoir une délégation de la famille de Jeanne d’Arc, comprenant une soixantaine de personnes descendant, soit des frères, soit des oncles de la Libératrice ; M. Hanotaux leur adressa les paroles dignes de sa science historique comme de la haute mission qu’il venait remplir.
Rien ne devait manquer à l’ampleur de la canonisation.
La Pucelle avait rendu le trône à l’héritier légitime chassé par l’invasion ; or, voici qu’un descendant de Charles VII, digne en tous points du noble sang qui coule dans ses veines, viendra prendre place le 16 à la tribune des souverains ; j’ai nommé S. A. R. Monseigneur le duc de Vendôme. La duchesse, sa femme, née princesse Henriette de Belgique, sœur d’Albert Ier, le noble roi des Belges, et sa fille, la princesse Geneviève d’Orléans, l’accompagnent.
Le Canada français n’oublie pas ses origines et en garde le souvenir toujours cher. Le chef incontesté de son épiscopat, le père aimé et vénéré de cette grande famille catholique et française, le cardinal Bégin, archevêque de Québec, avec deux archevêques, trois évêques, une vingtaine de prêtres, a traversé l’océan pour se joindre à la France et prier Jeanne d’Arc avec elle.
La Belgique se souvient de la fraternité du sang cimentée sur les champs de bataille, et son illustre primat, le cardinal Mercier, prendra place à la cérémonie du 16 mai.
L’univers catholique tout entier témoigne son intérêt par la présence à Rome d’une partie de son épiscopat et d’un bon nombre de pèlerins venus de toutes les parties du monde. Tout est prêt pour la gloire de Jeanne d’Arc ; le cadre est en harmonie avec le grand événement qui va s’accomplir : la voix du Pontife romain va pouvoir enfin, avec des accents infaillibles, répondre au cri de détresse que Jeanne, à trois reprises, a poussé vers lui, le 23 mai 1431 : « J’en appelle au Pape ».
L’aube du 16 mai s’est dessinée sur Rome. La journée s’annonce radieuse et de toutes les rues on se dirige sur le Vatican. Sur cette place incomparable encadrée par la colonnade de Bernin, la foule s’entasse.
Les portes de Saint-Pierre s’ouvrent, et bien longtemps avant le commencement de la cérémonie le plus vaste temple du monde est rempli.
Enfin, l’heure a sonné. Dans la basilique où soixante mille personnes attendent, le cortège s’avance au chant de l’Ave maris Stella. Clergé régulier et clergé séculier, vieilles institutions avec leurs longs siècles d’histoire, prélats, évêques, archevêques, patriarches, cardinaux, c’est l’Église militante qui vient au-devant de la nouvelle Sainte.
Voici d’ailleurs sa bannière escortée par dix prêtres, œuvre d’art magnifique et de grande dimension, confectionnée pour la circonstance. D’un côté sainte Jeanne s’élève vers le ciel ; les anges qui ne l’ont pas quittée au cours de sa vie terrestre lui font cortège à son entrée triomphante parmi les saints du ciel ; de l’autre côté, la guerrière apparaît tout armée, tenant de la main droite son étendard sacré vers lequel se porte son regard inspiré.
Au moment où la bannière arrive à la Confession de Saint-Pierre on distingue à droite et à gauche sur les énormes piliers du dôme les peintures représentant les deux miracles de Lourdes et d’Orléans. Avec la grande toile du portique d’entrée, ce sont les seuls décors spéciaux à la cérémonie de ce jour. Le reste de la basilique, a reçu sa parure des grandes solennités, tentures de damas rouge à franges d’or, avec les tribunes disposées pour les personnages ayant le privilège d’une place spéciale en ces grandes circonstances. Cependant, le Pape à son tour pénètre dans Saint-Pierre. A ce chef de l’Église de la terre, Jésus a confié aussi les clés du ciel. Cet homme est au dessus de tous les hommes, ses fidèles ne veulent point le laisser poser ses pieds sur la dalle de la basilique, ils l’ont élevé sur leurs épaules : Le Sauveur est en lui...
Et tandis qu’au son des trompettes au rythme majestueux, la Sedia suit le mouvement cadencé des porteurs, le Pape apparaît au-dessus de la foule, bénissant les têtes inclinées sous sa puissante main. Cette multitude me fait songer aux flots de la mer sous la houle, et, vue de loin, la Sedia semble une barque qui vogue. Benoît XV avançant lentement du fond de la basilique représente bien Pierre dirigeant sur la mer de Génésareth son frêle esquif. Mais dans cette barque Jésus est monté. Nul naufrage ne l’engloutira. Les puissances de l’enfer liguées contre elle ne prévaudront point.
Cependant quarante-quatre cardinaux et deux cent cinquante-sept évêques en mitres et en ornements variés se sont placés à droite et à gauche de l’abside.
Le Pape a gravi les degrés de son trône. La cérémonie commence.
Les représentants de la cause de Jeanne d’Arc, à trois reprises, sollicitent le Souverain Pontife de leur accorder sa canonisation. Derrière cette triple sollicitation, j’entrevois les tribunaux apostoliques qui ont siégé, les Congrégations qui ont débattu, les Consistoires qui ont conclu. Dans cette demande renouvelée il y a toutes les études de la science et la force du miracle contraignant les lois de la nature à faire resplendir les lumières du ciel. A chaque instance le Pape fait répondre en son nom par Mgr Galli, secrétaire des Lettres aux princes. De sa première réponse j’extrais ces lignes : « ... Ce rite solennel comble les vœux du Saint-Père ; sa reconnaissance monte vers Dieu, dont la bonté lui accorde non seulement d’en voir le jour heureux, mais aussi d’y remplir le rôle principal... Ce qui réjouit surtout le cœur du Souverain Pontife, c’est la présence, aux premiers rangs de cette immense assemblée, de la France avec son ambassadeur et ses évêques. Le Saint-Père est convaincu que l’enthousiasme avec lequel ce peuple généreux honore Jeanne d’Arc sa Libératrice sera pour lui dans l’avenir un gage de salut. Mais dans une chose de telle importance Sa Sainteté veut que tous ceux qui sont ici s’unissent pour invoquer Dieu par l’intercession de Marie immaculée, de Joseph, son bienheureux époux, des princes des apôtres Pierre et Paul et de tous les saints. »
Les chantres pontificaux font retentir alors les invocations répétées des litanies des saints. La masse des fidèles y répond unanimement. Cette prière qui monte, insistante, vers le ciel, impressionne, édifie, soulève l’âme.
Aussitôt terminés ces derniers et pressants appels, la seconde instance se produit. Le Saint-Père se met à genoux, récite le Miserere, fait demander à l’assemblée entière d’invoquer les lumières de l’Esprit-Saint, auteur de la Sagesse, puis il entonne le Veni Creator.
Après l’hymne, l’instance se renouvelle plus pressante que jamais. Alors Mgr Galli, une troisième fois prend la parole et dit : « Voici donc venir l’heure que les bons attendent depuis si longtemps. L’autorité de Pierre va sanctionner la vertu universellement suréminente de Jeanne d’Arc. Que l’univers catholique dresse l’oreille et qu’il vénère dans l’héroïne, libératrice admirable de sa patrie, une splendide lumière de l’Église triomphante ! »
A ces mots, l’assemblée tout entière se lève, et le Pape, mitre en tête, agissant en tant que docteur et chef de l’Église universelle, prononce cette solennelle Sentence :
« En l’honneur de la sainte et indivisible Trinité, pour l’exaltation de la foi catholique et pour l’accroissement de la religion chrétienne, par l’autorité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, des bienheureux apôtres Pierre et Paul et la Nôtre ; après une mûre délibération et ayant souvent imploré le secours divin, de l’avis de nos Vénérables Frères les cardinaux de la Sainte Église Romaine, les patriarches, archevêques et évêques présents dans la ville, Nous décrétons et définissons sainte et Nous inscrivons au catalogue des saints la bienheureuse Jeanne d’Arc, statuant que sa mémoire devra être célébrée tous les ans le 30 mai dans l’Église universelle. »
Quand le Saint-Père eut achevé, ce fut un instant d’émotion intense qui domina l’assemblée. On sentait toute la grandeur de l’acte surnaturel accompli, et les yeux ne quittaient le trône pontifical que pour s’élever vers le ciel comme s’ils cherchaient à découvrir quelque chose du triomphe éternel de Jeanne. En effet, la sentence infaillible de l’Église de Jésus-Christ vient maintenant de définir ce qu’est en réalité notre héroïque Libératrice : une sainte pour l’éternité.
Cependant Benoit XV a entonné le Te Deum, tandis que le bourdon de Saint-Pierre s’agite et donne le branle à toutes les cloches de Rome. L’hymne d’actions de grâces achevé, le premier des cardinaux diacres entonne le verset : « Sainte Jeanne d’Arc, priez pour nous afin que nous devenions dignes des promesses de Jésus-Christ, Alléluia ! » Le Souverain Pontife chante l’oraison de la nouvelle Sainte, et donne à l’assemblée la bénédiction papale.
La Messe solennelle pontificale commence alors avec toute la merveille de ses cérémonies et le concours de chants magnifiques exécutés avec une admirable perfection.
Benoît XV gravit l’autel de la Confession ; tous les fidèles présents dans Saint-Pierre peuvent l’y apercevoir, s’unir à sa prière. Le Saint-Père revient quelque temps au trône prononcer l’homélie, car il veut indiquer immédiatement le sens divin de ce qu’il vient de faire. Dans un latin d’une élégance admirable, Benoit XV rappelle d’abord cette parole de saint Paul :
« Dieu choisit les faibles de ce monde pour confondre les puissants ». Une faible femme a fait retentir l’univers de ses faits merveilleux et aujourd’hui nous célébrons sa gloire éternelle. Choisie providentiellement, Jeanne, par les miracles que le ciel lui a donné d’accomplir, est une attestation de l’existence de Dieu. En ell’et, si les voix secrètes qu’elle a entendues ont transformé une pauvre petite jeune fille ignorante en une héroïne accomplissant les plus durs sacrifices, connaissant la science militaire, remportant des victoires impossibles aux hommes, pénétrant les secrets des cœurs et prophétisant l’avenir, cela prouve que le doigt de Dieu était là. Tous ceux qui ont tenté d’expliquer Jeanne sans Dieu se sont perdus dans un labyrinthe aux dédales inextricables.
Avec raison la France se glorifie de Jeanne, mais la sainte Église aussi triomphe en elle. Dieu fit naître cette enfant pour sauver sa patrie, mais en même temps l’héroïne fit tout pour établir le règne de Jésus-Christ. Avant de rien entreprendre, elle invoquait ardemment l’aide du ciel ; victorieuse, elle attribuait le succès non à elle-même, mais au Maître de toutes choses. Sa seule présence refrénait la licence des camps et donnait l’exemple du respect de Dieu. Sa mort manifeste davantage encore cette vérité. Pour prouver son mandat céleste, elle accepte le plus dur supplice, et, au milieu des flammes crépitant déjà autour de son corps virginal, elle embrasse avec amour l’image du divin Crucifié, recommandant son âme à Celui pour lequel seul elle avait toujours vécu.
Après cinq siècles les vertus de Jeanne sont consacrées magnifiquement près du tombeau de saint Pierre ; elle reçoit les honneurs qui manifestent la gloire éternelle dont elle jouit au ciel depuis longtemps. Cela n’arrive pas sans un secret dessein du ciel à une époque où les gouvernements ne veulent plus reconnaître le règne du Christ. Et pourtant « il faut qu’il règne, Celui que son Père a établi héritier de toutes choses.
Que les rois donc et les juges de la terre comprennent que Celui qui a sauvé par la main d’une femme une puissante nation d’un péril extrême, est le même qui dirige souverainement le cours des affaires de ce monde, et que ce n’est pas toujours en vain qu’on refuse de se soumettre à sa volonté souveraine. Et que les catholiques, s’inspirant des exemples de Jeanne d’Arc, se confient dans son patronage, soumettent en toutes choses leur esprit et leur cœur à Jésus-Christ ; servir le Sauveur, c’est régner maintenant et dans l’éternité. »
Quand il eut fini de parler, le Souverain Pontife reçut l’offrande mystique des canonisations, cinq cierges, le pain, le vin et l’eau pour le Saint Sacrifice, avec les colombes, les tourterelles et les petits oiseaux.
Le Pape est de nouveau à l’autel, sur lequel on a déposé sa mitre précieuse et sa tiare aux trois couronnes pour attester que le Seigneur tout-puissant c’est le Jésus dont il est le Vicaire ; puis voici l’Élévation. Le Souverain Pontife n’élève pas seulement l’hostie et le calice comme les autres prêtres, mais il montre à l’assemblée tout entière, en se tournant vers elle, le corps et le sang du Christ, tel un trophée de victoire, la victoire de l’amour divin, tandis que du haut de la coupole résonnent triomphantes les trompettes d’argent.
Un peu plus tard, pour la sainte Communion, le Pape va s’agenouiller à son trône tandis que le cardinal diacre lui porte le Très Saint Sacrement entouré des honneurs divins ; tous les prélats sont prosternés, et la garde-noble, genou en terre, salue de l’épée.
La cérémonie s’achève sans que les assistants aient songé à leur fatigue. Une heure de l’après-midi a sonné quand on quitte la basilique.
Les Français se répandent dans Rome, racontant leurs joies et disant leurs espérances. Vers 6 heures du soir, ils remplissent l’église du Gesù, où Mgr Touchet leur fait entendre sa voix éloquente et où le cardinal Amette chante le salut d’actions de grâces ; cet office religieux termine ce jour sacré pour la France.
Le lendemain, Benoît XV veut recevoir ses enfants et leur parler. Nulle salle de Rome n’étant assez vaste pour les réunir, c’est à Saint-Pierre que le Pape les a convoqués de nouveau. Quelle majestueuse assemblée ! Ce sont tous ceux qui, hier, étaient là pour la canonisation ; ils prennent place autour de l’autel pontifical devant lequel on a dressé un trône. Benoît XV est arrivé. La foule qui, en l’attendant, priait à haute voix, ou chantait le Credo et l’hymne désormais national A l’Etendard, s’est tue et écoute avec-recueillement.
L’évêque d’Orléans, dont le labeur persévérant a obtenu l’heureuse terminaison du procès de canonisation, dit éloquemment au Pape le merci national, mais c’est bien aussi un merci de l’univers entier ; il s’étend à tous les bienfaits répandus sur la France et sur le monde par Benoît XV durant la guerre et depuis la paix.
Enfin s’élève la voix du grand et immortel Pontife. Le Pape s’avance au bord du trône et prononce, en français, un éloquent discours plein des leçons les plus graves. Après un remerciement à Mgr l’évêque d’Orléans, un hommage et un regret à Pie X, trop tôt rappelé au ciel pour présider ces glorieuses fêtes, Benoît XV continue :
« Nous ne pouvons pas dissimuler la profonde satisfaction de Notre âme à la pensée qu’il était réservé à Nous de couronner Jeanne d’Arc de l’auréole des saints. L’exercice de ce haut ministère Nous a ainsi permis d’accomplir un acte que Nous savons aller droit au cœur de nos chers fils de France.
« Ils étaient depuis de longs siècles si dévots à Jeanne d’Arc qu’ils voulaient que son nom fût respecté et aimé chez tous les peuples. Ils étaient si reconnaissants pour les bienfaits que leur patrie avait reçus de Jeanne qu’ils voulaient que ses gestes glorieux ne fussent pas ignorés du dernier enfant du plus humble village.
« Mais quelle voix plus puissante que celle d’un décret de canonisation aurait pu porter au delà des mers le nom de l’héroïne française ? »
Désormais, aux questions posées sur notre héroïne nationale, la réponse sera : « Elle est sainte ! — Jeanne d’Arc est sainte ; c’est pourquoi on ne doit imaginer aucun défaut en la vierge de Domremy. C’est pourquoi toute grandeur, toute beauté de vertu doivent se supposer en elle. Oh ! sublime éloquence d’un décret de canonisation, qui confirme non seulement les travaux des historiens, mais les fait rayonner bien plus loin que ne sauraient aspirer les publications des savants et qui donne surtout à ces dernières cette certitude de la vérité et cette universalité de doctrine auxquelles ne pourraient prétendre par eux-mêmes les ouvrages les mieux pensés, les conceptions les plus approfondies des sages de la terre ! »
Voici, enseigne le Pape, la grande vérité qui se dégage de la canonisation :
« La figure de Jeanne d’Arc est telle qu’on ne peut la bien connaître qu’à la lumière du surnaturel. »
Benoît XV va tirer ensuite une conclusion pratique :
« Le décret de canonisation de la Pucelle d’Orléans renferme aussi une leçon que l’Église offre à ses enfants pour leur progrès spirituel.
« Oh ! combien de fois, Nos chers fils, vous avez entendu dire que le chrétien doit suivre la voix de Dieu !... Or, parmi ces âmes, apparaît radieuse la figure de Jeanne d’Arc qui, en toute chose et partout, s’est laissé conduire par la voix de Dieu. »
Le Souverain Pontife souhaite donc à tous les catholiques, et aux Français en particulier, d’imiter pleinement la nouvelle Sainte, et termine son discours par cette solennelle prière :
« O Seigneur tout-puissant qui, pour sauver la France, avez jadis parlé à Jeanne et, de votre voix même, lui avez indiqué le chemin à suivre pour faire cesser les maux dont sa patrie était accablée, parlez aussi aujourd’hui, non seulement aux Français qui sont ici réunis, mais encore à ceux qui ne sont ici présents qu’en esprit, disons mieux, à tous ceux qui ont à cœur le bien de la France. Parlez, Seigneur, et que votre parole soit la bénédiction qui soutienne les évêques, qui facilite aux autorités, dont Nous saluons ici les très dignes représentants, la tâche d’assurer la vraie grandeur de la patrie, qui persuade tout Français de la nécessité de suivre la voix de Dieu, afin qu’après avoir imité Jeanne d’Arc ici-bas, il soit donné à tous de participer un jour à la gloire de l’héroïne devant laquelle Nous avons enfin le bonheur de Nous incliner, en lui disant : Sainte Jeanne d’Arc, priez pour nous ! sainte Jeanne d’Arc, priez pour votre patrie ! »
Ce n’était pas assez pour le cœur du Pontife bien-aimé. Le même jour, il reçoit au Vatican le général de Castelnau, avec les sénateurs et députés venus de France, la famille de Jeanne d’Arc si pleine de gratitude envers Benoît XV, et les six cents prêtres du pèlerinage qui ne repartiront pas sans emporter une parole et un sourire du Pape.
Le triduum en l’honneur de la nouvelle Sainte commence le 18 mai. Durant trois jours, un cardinal chantera solennellement la sainte Messe dans notre église Saint-Louis des Français, tandis que le soir d’autres princes de l’Eglise officieront au Gesù et que des orateurs y prononceront l’éloge de la Sainte.
Maintenant, une ère nouvelle commence pour la Pucelle d’Orléans ; son triomphe est incontesté.
Cependant, Benoît XV voulait faire plus encore pour la gloire de notre Libératrice quand, subitement, la mort le terrassa.
Le 6 février 1922, les cardinaux, réunis en Conclave, élurent le 265e successeur de saint Pierre ; or, le premier souci de Pie XI fut de faire aboutir le projet de son prédécesseur : dès le 2 mars 1922, il publia un Bref, adressé à la France, « justement appelée la Fille aînée de l’Église ».
Les lignes pontificales rappellent les faits historiques qui unissent notre nation, d’abord à la Vierge Marie, Mère de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et ensuite à cette autre vierge qui écrivit sur sa bannière les noms de Jésus et de Marie. Puis, solennellement, S. S. Pie XI proclame l’Immaculée, sous le vocable de son Assomption, première patronne de notre pays, et sainte Jeanne d’Arc, l’illustre Pucelle d’Orléans, seconde patronne de la France.
Que pourrait-on désirer de plus ? Quel titre exprimerait mieux les liens indissolubles qui nous rattachent à notre Libératrice nationale ? Elle règne dans les cieux. De la demeure céleste, elle intercède pour la France et défend les intérêts sacrés de sa patrie. Ayons confiance : un jour on écrira l’histoire de ses bienfaits.
Pour cela il faut que son culte se répande bien au delà des limites actuelles. Il faut qu’il ait des dévots convaincus et d’infatigables apôtres. Tout Français digne de ce nom doit connaître et aimer Jeanne. Dans le pays entier ses autels et ses temples se multiplieront ; une prière vraiment nationale montera vers elle ; elle a tant de faveurs spirituelles et temporelles à nous obtenir encore !
Que partout donc, dans notre patrie bien-aimée, retentisse avec force et persévérance l’invocation qui l’appelle à notre secours :
Sainte Jeanne d’Arc, Patronne de la France, sauvez-nous ! »
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