Le Sacre des Rois de France
Le sacre des Rois de France est partie intégrante des Lois Fondamentales du Royaume de France.
Le Roi de France doit impérativement être sacré. Ainsi Jeanne d’Arc a pesé de toutes ses forces pour que Charles VII fut sacré à Reims au plus vite après la libération d’Orléans, de façon à légitimer et conforter son pouvoir royal, ne l’appelant d’ailleurs « gentil roy » qu’après le sacre.
Ainsi, depuis Pépin le Bref jusqu’à Charles X en 1825, tous les Rois de France ont été sacrés. Le sacre est au surplus appelé à avoir lieu dans un temps rapproché de l’accession au trône. Le contre-exemple à cette règle est celui de Louis XIV, dont le sacre n’eut lieu que onze ans après son accession au trône. Compte tenu de la nature du sacre des rois de France, il est permis de se demander si la France n’aurait pas pu faire l’économie des deux Frondes si la cérémonie avait eu lieu plus tôt.
Le sanctuaire, définitivement choisi à partir du Xe siècle, pour la cérémonie du sacre a été la cathédrale de Reims : ce fut en effet en cette ville qu’eut lieu le baptême de Clovis, comme le rappela avec force l’évêque Hincmar de Reims, auteur de la vie de saint Remi. Ville au surplus gratifiée des visites de deux papes, Etienne II et Léon III, elle s’imposa après que plusieurs rois carolingiens furent précédemment sacrés en d’autres cités, dont Saint-Denis et Soissons.
Le premier couronnement fut celui de Charlemagne, en la Noël de l’an 800, couronnement exceptionnel, à Rome, par le pape Léon III lui-même. Aucune onction ne précéda, semble-t-il, ce couronnement. Ce fut avec Louis Le Pieux, qui l’inaugura en 816, que l’onction et le couronnement constituèrent de manière certaine les deux rites essentiels de la cérémonie du sacre et ce jusqu’à Charles X.
La cérémonie du Sacre du Roi de France ne se réduisit donc pas au Couronnement : elle revêtit en effet une dimension ecclésiastique et liturgique qui en fut même la caractéristique essentielle et la distingua des cérémonies des autres Royaumes européens, qui restèrent centrés sur le couronnement. Pour les français d’alors, le sacre du roi de France constituait un huitième Sacrement et tant la Sainte Ampoule que les fleurs de lis avaient une origine divine.
La dimension ecclésiastique du Sacre du Roi de France s’exprime alors au cours des principales étapes de la cérémonie religieuse :
le réveil du roi (rituel du roi dormant), depuis l’ordo de Charles V, lors duquel deux évêques, pairs du Royaume, viennent quérir le roi en son logis, après avoir frappé trois coups à la porte de sa chambre, prier, le réveiller et le mener, sous les chants, pour le faire sacrer. Ce rite, calqué sur les cérémonies d’initiation des futurs chevaliers, signifiait l’éveil du roi à sa vocation spirituelle de Lieutenant du Christ.
la prestation de serment : Deux serments se succèdent : le serment ecclésiastique et le serment du royaume. Le roi prête serment du royaume sur les saints Evangiles et, après la prestation de serment, baise l’Evangile sur lequel il avait posé les mains. Lors du sacre de Louis XIII, ce serment était le suivant : « je promets au nom de Jésus-Christ ces choses aux Chrétiens à moi sujets : premièrement, je mettrai peine que le peuple chrétien vive paisiblement avec l’Eglise de Dieu ; outre je tacherai faire qu’en toutes vocations cessent rapines et toutes iniquités ; outre je commanderai qu’en tous jugements l’équité et miséricorde aient lieu, à celle fin que Dieu clément et miséricordieux fasse miséricorde à moi et à vous. Outre je tacherai à mon pouvoir, en bonne foi, de chasser de ma Juridiction et terres de ma sujétion, tous hérétiques, dénoncés par l’Eglise : promettant par serment de garder tout ce qu’a été dit. Ainsi Dieu m’aide et ces Saints Evangiles de Dieu ».
l’investiture des symboles de la chevalerie, à l’issue de laquelle le Roi offre l’épée à Dieu, en la déposant sur l’Autel
la préparation des Saintes Huiles pour l’onction du roi, à partir du Baume extrait de la Sainte Ampoule, dont la Tradition, la légende selon la plupart des historiens actuels (toujours est-il que la Sainte Ampoule fait partie intégrante de l’histoire de France depuis au moins l’ordo de Charles V), veut qu’elle fût miraculeusement apportée par une colombe à Saint Remi, lors du baptême de Clovis, ainsi que le mentionne l’ordo de Charles V : « saint Remi, ayant reçu le chrême du ciel, consacra dans un déluge sacré l’illustre nation française et son noble roi et les enrichit de la plénitude du Saint-Esprit ». Ainsi, en raison de sa valeur sacrée, la sainte Ampoule est expressément amenée de l’abbaye de Saint-Denis, qui en assurait la conservation, pour la cérémonie du sacre. Durant ce temps de préparation, le chœur chantait des versets et des répons avec le Gentem Francorum inclitam.
l’onction du roi. Le cœur de la cérémonie religieuse avec une longue suite d’actes liturgiques, accompagnés de la litanie du sacre, avant que n’ait lieu l’onction elle-même, « acte épiscopal et spirituel » (Hincmar de Reims), pratiquée depuis Pépin le Bef, Charlemagne puis Louis Le Pieux. Le roi agenouillé, dos et poitrine dénudés, est oint- avec la sainte huile mélangée au saint-Chrême issu de la Sainte Ampoule miraculeusement apportée à saint Remi- sur le haut de la tête, sur la poitrine, entre et sur les épaules, à la saignée de chaque bras. Lors de la cérémonie du sacre de Louis XIII, le cardinal officiant dit « Je t’oins roi avec l’huile sanctifiée. Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit », répétant ces paroles lors de chacune des onctions. Une fois les onctions faites, des prières sont récitées, durant lesquelles le monarque est nommé roi pour la première fois de toute la cérémonie. Les onctions s’achèvent par celles des paumes des mains. Le roi, alors revêtu d’une tunique, d’un dalmatique et du manteau royal, reçoit les gants de sacre, l’anneau royal que l’archevêque bénit et place à l’annulaire droit du roi. Le roi est alors investi du sceptre royal et de la main de justice.
le couronnement. Après les onctions saintes, le roi ainsi oint et consacré comme le sont les évêques, est couronné par l’archevêque (ou le cardinal), après que les douze pairs de France- six pairs laïcs, six pairs ecclésiastiques, dont l’officiant- aient ensemble soulevé la couronne pendant que des prières sont dites.
l’acclamation. Après ce couronnement, le roi est enfin conduit sur le trône royal, le prélat officiant enlève sa mitre, s’incline devant le roi et s’écrie « vivat rex in aeternum », avant que l’asssistance présente ne l’acclame à son tour.
la communion sous les deux Espèces. Après le sacre, le roi de France (ainsi que la reine lorsqu’elle avait elle-même été couronnée, généralement à Saint-Denis) avait le droit de communier sous les deux espèces, le pain et le vin, tout comme les prêtres. Ce privilège apparaît pour la première fois dans l’ordo de Reims.
A l’issue du sacre, le roi est ainsi devenu l’oint de Dieu, et, selon une formule pas toujours bien comprise, roi de droit divin.
le roi thaumaturge. Le caractère sacré de la Royauté française explique le pouvoir guérisseur des rois de France, à partir de Robert Le Pieux, second des Capétiens . Le toucher des écrouelles (ou scrofule ou adénite tuberculeuse, affection autrefois très fréquente et redoutée en France), accompagné de paroles saintes et catholiques, est assuré par le roi lui-même, très vite après son sacre. « Le roi te touche, Dieu te guérit », selon la formule attestée à partir du XVIe siècle. « par le seul contact de leur mains, ils défendent les malades du mal des écrouelles : chose que démontre clairement l’évidence des faits, éprouvée sur des personnes innombrables » (préambule de la charte rendue en 1380 par le roi Charles V en faveur du chapitre de Reims).
le pèlerinage, au retour du sacre, sur la tombe de saint Marcoul, réputé grand guérisseur d’écrouelles, au prieuré de Corbeny (Aisne), qui dépendait de l’abbaye de Saint-Remi de Reims. Ce pèlerinage est attesté à partir du roi Jean Le Bon et eut lieu jusqu’à Louis XIV. Ce dernier, ainsi que les rois Louis XV et Louis XVI, firent quant à eux venir à Reims la chasse de saint Marcoul (à l’exception du roi Henri IV, sacré à Chartres, en raison des troubles liés aux guerres de religion et qui s’exempta également de ce rite).
Certes, on relève des variantes liturgiques au fil des temps et la cérémonie du sacre s’est enrichie, d’un ordo à l’autre, mais les historiens constatent une continuité remarquable du rite du sacre des rois de France.
La dimension ecclésiastique, liturgique et spirituelle de la cérémonie du Sacre, rattachée aux sources bibliques, s’exprime ainsi pleinement, avec le rite du Réveil du roi, la prestation de serment, l’investiture des symboles de la chevalerie, la préparation des saintes Huiles, l’Onction, le Couronnement, la Communion sous les deux Espèces, le toucher des écrouelles et la dévotion aux reliques de saint Marcoul.
Vivat Rex, Histoire des sacres et couronnements en France 1364-1825 par Richard A. Jackson éd. Association des publications près les Universités de Strasbourg
Clovis, Histoire et mémoire, sous la direction de Michel Rouche, éd. Presses de l’Université de Paris-Sorbonne
Les rois thaumaturges par Marc Bloch, éd. Gallimard