Leçon politique de (saint) Charles de Foucauld

mercredi 10 juin 2020
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Des musulmans peuvent-ils être vraiment français ? Exceptionnellement, oui. D’une manière générale, non » : leçon politique de (saint) Charles de Foucauld



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« Ce mardi 26 mai 2020, le pape François autorisa la Congrégation pour la Cause des Saints à publier des décrets concernant quatre Français. Par ces documents, le souverain pontife reconnut l’héroïcité des vertus de Mgr Melchior de Marion-Brésillac (1813-1859), fondateur de la Société des missions africaines, qui obtint donc le titre de Vénérable ; un miracle obtenu par l’intercession de la Vénérable Pauline-Marie Jaricot (1799-1862), fondatrice de plusieurs œuvres pieuses et zélatrice du culte de sainte Philomène, ce qui va permettre sa béatification ; un autre miracle obtenu par l’intercession du bienheureux César de Bus (1544-1607), fondateur de la congrégation des Pères de la Doctrine Chrétienne, ce qui va permettre sa canonisation. Le quatrième décret fit couler un peu plus d’encre, puisqu’il concerne la reconnaissance d’un deuxième miracle obtenu par l’intercession du célèbre bienheureux Charles de Jésus (1858-1916), ce qui va permettre sa canonisation !

C’est lui qui nous intéresse ici.

Plus connu sous son nom séculier, Charles de Foucauld naquit en 1858 à Strasbourg. Orphelin dès l’âge de six ans, le petit Charles hérita du titre de vicomte et fut dès lors élevé par son grand-père maternel, le colonel Beaudet de Morlet, avant d’intégrer Saint-Cyr en 1876. Étudiant brillant, il entra dans la cavalerie une fois ses études terminées, avant de quitter précipitamment le métier des armes pour mener une vie de débauche et d’aventure, notamment au Maroc, qu’il étudia toutefois avec minutie : la qualité de ses travaux — et, particulièrement, de son ouvrage Reconnaissance au Maroc (1888) — lui valut même la médaille d’or de la Société de géographie !

De retour en son pays, Fille aînée de l’Église, il retrouva la foi de son enfance et de ses ancêtres — notamment grâce à sa cousine Marie et à l’abbé Huvelin — et devint religieux chez les trappistes dès 1890. Grand lecteur ainsi que dévot des Pères du désert, il partit pour la Syrie, avant de quitter La Trappe pour devenir ermite de Saint-Augustin, notamment en Palestine, où il écrivit sa Prière d’abandon, fondement de sa spiritualité.

Après avoir été ordonné prêtre à Viviers en 1901, il partit dans le Sahara algérien, où il ambitionnait de fonder une nouvelle congrégation, sans résultat. Là-bas, il vécut avec les Touaregs, prêchant non pas par les sermons, mais par son exemple, en même temps qu’il étudia ces populations pendant plus de douze ans, publiant sous un pseudonyme le premier dictionnaire tamasheq-français. Les travaux de Charles de Foucauld, encore aujourd’hui, demeurent une référence pour la connaissance de la culture touareg.

Malgré la guerre, les menaces indépendantistes et les conseils de l’Armée française, Charles de Jésus souhaita rester auprès de ses frères Touaregs. Il signa là son arrêt de mort. Trahi par l’un de ces derniers, le religieux fut assassiné à la porte de son ermitage, le 1er décembre 1916, par des membres de la Sanousiyya, une confrérie soufie radicalement anti-catholique et anti-française — notons qu’il fut peut-être tué pour des raisons plus cyniques que politiques ou religieuses, toutefois.

Toute sa vie religieuse, Charles de Foucauld la passa donc auprès des musulmans et au contact de sociétés islamiques. Grand connaisseur de l’Islam, du Maghreb et de ses habitants, qu’il aimait tant, et qui lui rendirent bien pour la plupart — même s’il finit tué par l’un d’eux —, il avait toutefois un avis très tranché sur le rapport des musulmans à la France. Évidemment, le contexte n’était pas le même qu’aujourd’hui ; il n’était pas encore celui de l’invasion migratoire et du Grand Remplacement (qui n’est pas uniquement le fait de musulmans, d’ailleurs), mais celui de la colonisation. Malgré tout, les enseignements de celui qui sera bientôt officiellement déclaré saint nous paraissent lumineux, voire prophétiques à ce sujet ! Dans la lettre ci-contre, publiée en intégralité — et découpée en plusieurs partie pour faciliter sa lecture —, Charles de Foucauld répondait — quelques mois seulement avant sa mort — à l’académicien René Bazin, qui l’interrogeait sur son rapport aux Nord-Africains et à l’islam omniprésent en sa terre de mission.
F. V.

Lettre de Charles de Foucauld

(faite le 29 juillet 1916 à Tamanrasset, Algérie)

Monsieur,
Je vous remercie infiniment d’avoir bien voulu répondre à ma lettre, au milieu de tant de travaux, et si fraternellement. Je pourrais, m’écrivez-vous, vous dire utilement la vie de missionnaire parmi les populations musulmanes ; mon sentiment sur ce qu’on peut attendre d’une politique qui ne cherche pas convertir les musulmans par l’exemple et par 1’éducation, et qui par conséquent maintient le mahométisme, enfin, des conversations avec des personnages du désert sur les affaires d’Europe et sur la guerre.

I – Charles de Foucault et son rôle de missionnaire

Habituellement chaque mission comprend plusieurs prêtres, au moins deux ou trois ; ils se partagent le travail qui consiste surtout en relations avec les indigènes (les visiter et recevoir leurs visites), œuvres de bienfaisance (aumônes, dispensaires), œuvres d’éducation (écoles d’enfants, école du soir pour les adultes, ateliers pour les adolescents), ministère paroissial (pour les convertis et ceux qui veulent s’inscrire dans la religion chrétienne).

Je ne suis pas en état de vous décrire cette vie qui, dans ma solitude au milieu de populations très disséminées et encore très éloignées d’esprit et de cœur, n’est pas la mienne… Les missionnaires isolés comme moi sont fort rares. Leur rôle est de préparer la voie, en sorte que les missions qui les remplaceront trouvent une population amie et confiante, des âmes quelque peu préparées au christianisme, et, si faire se peut, quelques chrétiens. Vous avez en partie décrit leurs devoirs dans votre article : « Le plus grand service » (Écho de Paris, 22 janvier 1916).

II faut nous faire accepter des musulmans, devenir pour eux l’ami sûr, à qui on va quand on est dans le doute ou la peine, sur l’affection, la sagesse et la justice duquel on compte absolument. Ce n’est que quand on est arrivé là qu’on peut arriver à faire du bien à leurs âmes. Inspirer une confiance absolue en notre véracité, en la droiture de notre caractère, et en notre instruction supérieure, donner une idée de notre religion par notre bonté et nos vertus, être en relations affectueuses avec autant d’âmes qu’on le peut, musulmanes ou chrétiennes, indigènes ou françaises, c’est notre premier devoir : ce n’est qu’après l’avoir bien rempli, assez longtemps, qu’on peut faire du bien. Ma vie consiste donc à être le plus possible en relation avec ce qui m’entoure et à rendre tous les services que je peux.

À mesure que l’intimité s’établit, je parle, toujours ou presque toujours en tête à tête, du bon Dieu, brièvement, donnant à chacun ce qu’il peut porter, fuite du péché, acte d’amour parfait, acte de contrition parfaite, les deux grands commandements de l’amour de Dieu et du prochain, examen de conscience, méditation des fins dernières, à la vue de la créature penser à Dieu, etc., donnant à chacun selon ses forces et avançant lentement, prudemment. Il y a fort peu de missionnaires isolés faisant cet office de défricheur ; je voudrais qu’il y en eut beaucoup : tout curé d’Algérie, de Tunisie on du Maroc, tout aumônier militaire, tout pieux catholique laïc (à l’exemple de Priscille et d’Aquila), pourrait l’être.

Le gouvernement interdit au clergé séculier de faire de la propagande anti-musulmane ; mais il s’agit de propagande ouverte et plus ou moins bruyante : les relations amicales avec beaucoup d’indigènes, tendant à amener lentement, doucement, silencieusement, les musulmans à se rapprocher des chrétiens devenus leurs amis, ne peuvent être interdites par personne. Tout curé de nos colonies pourrait s’efforcer de former beaucoup de ses paroissiens et paroissiennes à être des Priscille et des Aquila. Il y a toute une propagande tendre et discrète à faire auprès des indigènes infidèles, propagande qui veut avant tout de la bonté, de l’amour et de la prudence, comme quand nous voulons ramener à Dieu un parent qui a perdu la foi… Espérons qu’après la victoire nos colonies prendront un nouvel essor. Quelle belle mission pour nos cadets de France, d’aller coloniser dans les territoires africains de mère-patrie, non pour s’y enrichir, mais pour y faire aimer la France, y rendre les âmes françaises et surtout leur procurer le salut éternel, étant avant tout des Priscille et des Aquila !

II – Franciser les peuples de l’empire colonial

Ma pensée est que si, petit à petit, doucement, les musulmans de notre empire colonial du nord de l’Afrique ne se convertissent pas, il se produira un mouvement nationaliste analogue à celui de la Turquie : une élite intellectuelle se formera dans les grandes villes, instruite à la française, sans avoir l’esprit ni le cœur français, élite qui aura perdu toute foi islamique, mais qui en gardera l’étiquette pour pouvoir par elle influencer les masses ; d’autre part, la masse des nomades et des campagnards restera ignorante, éloignée de nous, fermement mahométane, portée à la haine et au mépris des Français par sa religion, par ses marabouts, par les contacts qu’elle a avec les Français(représentants de l’autorité, colons, commerçants), contacts qui trop souvent ne sont pas propres à nous faire aimer d’elle. Le sentiment national on barbaresque s’exaltera dans l’élite instruite : quand elle s’en trouvera l’occasion, par exemple lors de difficultés de la France au dedans ou au dehors, elle se servira de l’Islam comme d’un levier, pour soulever la masse ignorante, et cherchera à créer un empire africain musulman indépendant.

L’empire Nord-Ouest-Africain de la France, Algérie, Maroc, Tunisie, Afrique occidentale française, etc., a 30 millions d’habitants ; il en aura, grâce à la paix, le double dans cinquante ans. II sera alors en plein progrès matériel, riche, sillonné de chemins de fer, peuplé d’habitants rompus au maniement de nos armes, dont l’élite aura reçu l’instruction dans nos écoles. Si nous n’avons pas su faire des Français de ces peuples, ils nous chasseront. Le seul moyen qu’ils deviennent Français est qu’ils deviennent chrétiens. Il ne s’agit pas de les convertir en un jour ni par force : mais tendrement, discrètement, par persuasion, bon exemple, bonne éducation, instruction, grâce à une prise de contact étroite et affectueuse, œuvre surtout de laïcs français qui peuvent être bien plus nombreux que les prêtres et prendre un contact plus intime.

Des musulmans peuvent-ils être vraiment français ? Exceptionnellement, oui. D’une manière générale, non. Plusieurs dogmes fondamentaux musulmans s’y opposent ; avec certains il y a des accommodements ; avec l’un, celui du mehdi, il n’y en a pas ; tout musulman, (je ne parle pas des libre-penseurs qui ont perdu la foi) croit qu’à l’approche du jugement dernier le mehdi surviendra, déclarera la guerre sainte, et établira l’islam par toute la terre, après avoir exterminé ou subjugué tous les non-musulmans. Dans cette foi, le musulman regarde l’islam comme sa vraie patrie et les peuples non musulmans comme destinés à être tôt ou tard subjugués par lui musulman ou ses descendants ; s’il est soumis à une nation non musulmane, c’est une épreuve passagère ; sa foi l’assure qu’il en sortira et triomphera à son tour de ceux auxquels il est maintenant assujetti ; la sagesse l’engage à subir avec calme son épreuve ; « l’oiseau pris au piège qui se débat perd ses plumes et se casse les ailes ; s’il se tient tranquille, il se retrouve intact le jour de la libération », disent-ils ; ils peuvent préférer telle nation à une autre, aimer mieux être soumis aux Français qu’aux Allemands, parce qu’ils savent les premiers plus doux ; ils peuvent être attachés à tel ou tel Français, comme on est attaché à un ami étranger ; ils peuvent se battre avec un grand courage pour la France, par sentiment d’honneur, caractère guerrier, esprit de corps, fidélité à la parole, comme les militaires de fortune des XVIe et XVIIe siècle : mais d’une façon générale, sauf exception, tant qu’ils seront musulmans, ils ne seront pas français, ils attendront plus ou moins patiemment le jour du mehdi, en lequel ils soumettront la France.

De là vient que nos Algériens musulmans sont si peu empressés à demander la nationalité française : comment demander à faire partie d’un peuple étranger qu’on sait devoir être infailliblement vaincu et subjugué par le peuple auquel on appartient soi-même ? Ce changement de nationalité implique vraiment une sorte d’apostasie, un renoncement à la foi du mehdi…

III – La main-d’œuvre polonaise

Votre article sur la main-d’œuvre étrangère (Écho de Paris du 28 mai 1916), et ce que vous y dites avec tant de vérité des Polonais me porte à vous parler d’un ami… qui a consacré sa vie à l’étude et au relèvement de la Pologne, sa patrie, il travaille à la relever surtout par la pureté des mœurs, l’austérité de la vie et le renoncement à l’alcool. Voyant avec douleur beaucoup de Polonais partir annuellement pour l’Amérique où ils perdent leurs âmes, il cherche à détourner ce mouvement d’émigration vers la France et les colonies françaises du Nord de l’Afrique, Algérie, Maroc, Tunisie.

Depuis trois ou quatre ans, il a fait parvenir des propositions à ce sujet aux autorités françaises d’Algérie et du Maroc, offrant de diriger sur ces pays des familles choisies de Polonais. Rien de ce qu’il a proposé n’a été exécuté jusqu’à présent. L’heure viendra peut-être bientôt de reprendre son idée et de l’appliquer non seulement à l’Algérie, à la Tunisie et au Maroc, mais aussi à la France…

IV – Les Kabyles

Comme vous, je désire ardemment que la France reste aux Français et que notre race reste pure. Pourtant je me réjouis de voir beaucoup de Kabyles travailler en France ; cela semble peu dangereux pour notre race, car la presque totalité des kabyles, amoureux de leur pays, ne veulent que faire un pécule et regagner leurs montagnes. Si le contact de bons chrétiens établis en Kabylie est propre à convertir et à franciser les Kabyles, combien plus la vie prolongée au milieu des chrétiens de France est-elle capable de produire cet effet !

Les berbères marocains, frères des Kabyles, sont encore par trop rudes ; ils seront pareils aux Kabyles, quand eux, ils auront soixante ans de domination française. Saint Augustin aimait la langue punique, parce que, disait-il, c’était la langue de sa mère : qu’était la race de sainte Monique dont la langue était la punique ? La race berbère ? Si la race berbère nous a donné sainte Monique et en partie saint Augustin, voilà qui est bien rassurant. N’empêche que les Kabyles ne sont pas aujourd’hui ce qu’étaient leurs ancêtres du IVe siècle : leurs hommes ne sont pas ce que nous voulons pour nos filles ; leurs filles ne sont pas capables de faire les bonnes mères de famille que nous vou1ons. Pour que les Kabyles deviennent français, il faudra pourtant que des mariages deviennent possibles entre eux et nous : le christianisme seul, en donnant même éducation, mêmes principes, en cherchant à inspirer mêmes sentiments, arrivera avec le temps, à combler en partie l’abîme qui existe maintenant.

En me recommandant fraternellement à vos prières, ainsi que nos Touaregs, et en vous remerciant encore de votre lettre, je vous prie d’agréer l’expression de mon religieux et respectueux dévouement.

Votre humble serviteur dans le cœur de Jésus. »

Charles de Foucauld

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Vexilla galliae