« L’Association des Maires de France favorise les divisions de la population en faisant preuve d’un laïcisme forcené »
Pour Xavier Lemoine, maire de Montfermeil (Seine-Saint-Denis) et membre du « Groupe laïcité » de l’Association des maires de France (AMF), le vade-mecum sur la laïcité présenté par celle-ci mercredi 18 novembre fait preuve d’un laïcisme forcené, susceptible d’attiser les tensions au sein de la société.
Comment ce vade-mecum a-t-il été élaboré ?
Il y a deux manières de voir la laïcité. Elle peut être soit unilatérale, si l’on considère que c’est l’État qui impose sa vision aux religions, soit bilatérale s’il s’agit d’un dialogue, dans lequel les religions ont aussi l’occasion de s’exprimer sur leur vision de cette notion. En l’occurrence, c’est clairement la première solution qui a présidé à la rédaction de ce vade-mecum.
Pour éclairer ses réflexions, l’AMF a d’abord écouté les interventions de Jean-Louis Bianco de l’Observatoire de la Laïcité, de Daniel Keller, Grand Maître du Grand Orient de France, et de Gérard Delfau. Ce sont ces discours qui ont orienté le travail. Les représentants des religions chrétiennes, juive et musulmane n’ont été entendus qu’en toute fin de parcours, alors que nous étions déjà en phase de prérédaction. Très marqué idéologiquement, le document final tient en suspicion les religions et fait de la laïcité un ensemble normatif contraignant qui oblige les consciences sur des sujets sensibles. Ne pas y adhérer, c’est déjà ne plus être laïc ni même républicain !
Très marqué idéologiquement, le document final tient en suspicion les religions et fait de la laïcité un ensemble normatif contraignant qui oblige les consciences sur des sujets sensibles.
Y a-t-il eu des débats autour de cette conception de la laïcité ?
Oui, il y a eu des oppositions très fortes de ma part et de la part d’élus, y compris de gauche, de villes comparables à la mienne, c’est-à-dire avec une importante population musulmane. Nous avons dit que cette relégation de la religion dans la sphère exclusivement privée risquait de créer une grande frustration dans cette population, et de finir par exploser.
Mais beaucoup de nos confrères ont découvert cet aspect du problème en nous entendant. Quand j’ai expliqué les ressorts des comportements et des réactions de croyants, j’ai senti une grande méconnaissance du sujet. Le manque de culture religieuse de beaucoup ne leur permet pas de comprendre ces enjeux. Ils se contentent de cette attitude éradicatrice envers les religions, sans comprendre que la réaction de certains croyants face à cette conception de la laïcité sera nécessairement un non possumus.
Si on impose toujours plus aux musulmans de séparer foi et loi, ce qui est en partie impossible pour eux, ils vont, pour se protéger, adopter des attitudes et des modes de vie toujours plus en décalage avec le reste de la société, ce qui va créer des écarts intenables et des tensions importantes. En continuant à pousser dans ce sens, l’AMF organise les divisions de la population. On voudrait créer des conflits, on ne s’y prendrait pas autrement…
La présentation du vade-mecum a eu lieu mercredi, moins d’une semaine après les attentats…
Soit la date de la publication a été choisie ou délibérément maintenue, et à ce moment-là les événements ont donc été utilisés pour réaffirmer la volonté d’éradiquer un peu plus nos racines et notre culture. Soit il s’agit d’un concours de circonstances, et on ne comprend plus : tout le monde parle, depuis ces attentats, de retour à nos racines comme moyen de résistance au terrorisme islamiste, et ce document vient stériliser cette dynamique. C’est d’une maladresse extrême. Mais elle permet de mesurer le décalage immense entre le laïcisme forcené de l’AMF et les aspirations de la société.
Quelle influence peut avoir ce texte ? Les propositions de l’AMF n’ont aucun caractère obligatoire.
Il aura l’impact de l’autorité morale que l’AMF a encore, ou voudrait encore avoir, notamment au travers des personnalités qui s’y expriment. Il y a aussi l’aspect « livre de recettes » du document, qui contribuera à son succès, car il propose des solutions simples, toutes faites, aux questions de laïcité.
Certes, tous les maires ne sont pas membres de l’AMF, je n’en fais moi-même plus partie, mais il reste difficile de s’en démarquer clairement et publiquement. La pression des pairs et du groupe est forte.
Certaines propositions visent directement la religion catholique. La demande d’interdiction des crèches de Noël dans les mairies est sans doute la plus symbolique. Pourquoi l’AMF fait-elle de ce point une priorité, a fortiori dans le contexte actuel ?
Ces gens-là font la chasse aux crèches alors que la mairie de Paris organise chaque année un repas de l’iftar pendant le ramadan… En réalité, les revendications de l’islam leur servent de prétexte pour remettre un tour de vis général, donc à l’Église, tout en restant incapables d’imposer ces recommandations aux musulmans eux-mêmes. Pour aller plus loin encore dans la bienveillance à l’égard de l’islam, on transforme leurs faits religieux en faits culturels.
C’est un mécanisme idéologique d’une très grande perversité. Il ne faut pas oublier que la franc-maçonnerie, grande ennemie de l’Église catholique, est très influente au sein de l’AMF. Comme en atteste le fait d’avoir confié l’ouverture et l’orientation des débats à Messieurs Daniel Keller et Gérard Delfau (lui-même membre de la loge Fidélité et Travail de Montpellier, affiliée au Grand Orient de France, Ndlr).
Il ne faut pas oublier que la franc-maçonnerie, grande ennemie de l’Église catholique, est très influente au sein de l’AMF.
Que peuvent faire les maires qui, comme vous, sont en désaccord profond avec l’AMF, pour faire entendre une autre voix ?
Depuis les lois sur l’intercommunalité, les maires sont de moins en moins libres de leurs prises de positions, car ils sont obligés de passer des accords politiques pour les budgets. Cela annihile toute expression d’une pensée originale, car on risque alors à chaque fois de rompre des équilibres politiques et financiers, dont on ne veut et ne peut pas se voir privé.
L’AMF est une grosse machine aux rouages subtils et très bien organisés. Essayer de la changer « de l’intérieur » serait illusoire. En revanche, les maires susceptibles de se démarquer de l’AMF ont besoin d’être encouragés et soutenus par les citoyens qui les approuvent et ainsi leur donner le courage de s’exprimer sur des sujets comme la laïcité. Ils ont le devoir de se mobiliser et d’être acteurs de la vie politique locale, et pas uniquement se comporter en consommateurs, en ne votant qu’une fois tous les six ans.
Il y a toute une génération en train de se former, qui a déjà pris la parole et s’est fait largement rabrouer sur ce type de sujets. Mais nous n’en sommes qu’aux prémisses du combat qu’elle a à mener. »
Les principales propositions du « vade-mecum » de l’AMF :
Une loi pour interdire les crèches dans les mairies : l’AMF estime que la présence de crèches de Noël dans les mairies est incompatible avec la laïcité. Elle souhaite une « clarification législative » en réponse à des décisions de justice contradictoires rendues à ce sujet l’année passée.
Davantage de neutralité des élus : l’AMF « invite les élus, dans leur action publique, à s’abstenir de faire montre de leurs propres convictions religieuses ou philosophiques », notamment lorsqu’ils participent en tant qu’élus à des cérémonies religieuses.
Renforcement du contrôle des écoles hors contrat : l’AMF prône « un régime de déclaration plus encadré et, surtout, un renforcement du contrôle a posteriori, par l’État, de la réalité de la pratique des structures éducatives privées hors contrat ».
Appel à ne plus soutenir les manifestations chrétiennes : l’AMF « invite les maires à être attentifs aux potentielles entorses à la laïcité dans le cadre du soutien apporté à des manifestations considérées comme traditionnelles (processions, troménies, baptêmes de navires, bénédiction de bâtiments, etc.) ».
Critique de l’Église : l’AMF a choisi de faire figurer en annexe du vade-mecum l’intervention devant le « Groupe Laïcité » de Gérard Delfau, président de l’association ÉGALE qui défend la laïcité. Après avoir présenté les lois Neuwirth (autorisant la contraception), Veil (autorisant l’avortement) et Taubira (autorisant le mariage homosexuel) comme des « avancées en matière de laïcité » (sic), il souligne que l’Église catholique a essayé jusqu’au bout d’empêcher leur adoption ».
ARTICLE Famille Chrétienne | 23/11/2015 | Par Thierry Vincent
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