A propos de la crise dans le diocèse de Toulon

jeudi 8 juin 2023
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A propos de la crise dans le diocèse de Toulon

« Pour la deuxième année consécutive, le diocèse de Toulon ne pourra pas ordonner ses séminaristes. Nous avions appris en juin dernier que « Rome » (je mets Rome entre guillemets car on ignore toujours s’il s’agit de la vendetta d’un obscur fonctionnaire de Dieu sait quel dicastère ou d’une décision pontificale !) avait demandé à l’évêque du lieu, Mgr Rey, de surseoir à ces ordinations. Depuis, une visite apostolique a été diligentée dans le diocèse. A ce jour, les résultats de cette visite demeurent inconnus – et plusieurs personnes ayant demandé à être entendues par les visiteurs n’ont même pas eu d’accusé de réception, ce qui ne peut manquer d’alimenter les soupçons de visite à charge.

Comme je l’écrivais l’année dernière, je ne prétends nullement connaître les dessous de cette désastreuse affaire. J’ai reçu toutes sortes d’informations plus ou moins fiables sur le sujet mais je suis incapable de juger de ce qui est vrai et de ce qui est faux. Je n’ai en tout cas aucune difficulté à croire que plusieurs choses méritaient d’être améliorées dans le diocèse de Toulon et spécialement dans son séminaire qui semble l’épicentre de ce cyclone. Au demeurant, il n’est pas besoin d’être surinformé sur l’Eglise contemporaine pour savoir que beaucoup de choses méritent d’être améliorées à peu près partout.

Quoi qu’il en soit, je me garderais bien de m’immiscer dans une discussion qui ne regarde que Mgr Rey et le Pape.

En revanche, fidèle laïc et observateur attentif de la vie de l’Eglise de France, je suis bien obligé de parler des conséquences publiques de cette situation ¬– et des conséquences prévisibles des étapes à venir qui se dessinent dans le brouillard.
La première conséquence, évidente, massive, monstrueuse, c’est que des jeunes gens qui ont tout donné au Christ sont pris en otages par cette décision (et, même pire, par cette absence de décision) : voici en particulier deux ans que des diacres sont, au mépris du droit canonique, privés de l’ordination sacerdotale sans faute connue de leur part. J’ignore quel fonctionnaire ou quelle bureaucratie a pu imaginer une telle torture, mais je dis tout net que c’est scandaleux. Ça l’était l’année dernière, ça l’est davantage encore aujourd’hui. Il faut manquer, non seulement du sens de l’Eglise, mais même de l’humanité la plus élémentaire, pour se livrer à ce genre de procédés indignes – et n’avoir pas même le courage d’assumer ses responsabilités.

Cela en dit long sur l’état pitoyable des relations humaines dans l’Eglise.
Cela en dit long aussi sur la permanence des abus dans l’Eglise. Dans n’importe quelle société, ce qui est fait à ces malheureux serait jugé comme du harcèlement moral – et, comme tel, relèverait du tribunal. Dans l’Eglise, puisque tout y repose sur l’engagement total de la personne, n’importe qui semble pouvoir se permettre n’importe quoi.

C’était bien la peine de nous offrir le numéro que nous avons naguère regardé avec consternation sur le rapport Sauvé où des énergumènes ont pu réclamer des changements de la théologie sacramentelle elle-même, sur la base de chiffres sortis du chapeau et parfois incohérents entre eux, au motif que les abus seraient « systémiques » dans l’Eglise. C’était bien la peine de nous dire que tout ceci était fini, n-i fini, et que désormais tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Le message le plus clair qu’envoie cette triste affaire toulonnaise, c’est que briser des vies demeure l’une des « options » du « management » ecclésial ! Et c’est comme cela que vous voulez attirer des vocations ou réévangéliser la France ? (Oups, pardon, j’oubliais que les « managers » en question étaient aussi des syndics de faillite qui se préoccupaient assez peu d’évangélisation.)

Mais comment ne pas comprendre que cette situation est un contre-témoignage radical sur tout ce qui a été dit et claironné sur le pontificat réformateur du Pape François : comment peut-on imaginer pire cléricalisme que celui qui prive l’Eglise de jeunes prêtres et des jeunes gens de la joie de recevoir le sacrement de l’ordre, sans même se donner la peine d’exposer le plus insignifiant motif ?

La situation est d’autant plus kafkaïenne que personne ne sait ce qui permettrait de la débloquer. J’ai lu des Messieurs Je Sais-Tout nous expliquer, sur le ton de l’arrogance que donne la certitude d’être dans le « camp du bien » (on a les néo-cons qu’on peut !), que c’était tout simple : il suffirait que Mgr Rey démissionne et les ordinations seraient instantanément reprogrammées. Mais c’est idiot : une sanction dont on ne connaît pas le motif ne peut tout simplement pas être levée.

Ces dernières décennies, le droit canonique a cessé d’être la protection normale de la liberté des fidèles. Il est devenu, mutatis mutandis, l’arme qu’était le code pénal soviétique entre les mains du NKVD : l’objet n’est pas de savoir qui est coupable de quoi et de lui conférer la juste peine de son délit, mais de faire planer un arbitraire général sur toute la société. C’est déjà extrêmement pénible dans la société temporelle ; c’est insupportable dans l’Eglise. La vérité vous rendra libres, disait le Christ : cela vaut tout spécialement en matière de droit. Si les censeurs anonymes de Mgr Rey ou de ses séminaristes, à Rome et peut-être en France (il ne faut jamais mésestimer la puissance de la jalousie ecclésiastique !), ne disent pas publiquement ce qu’il faut améliorer pour reprendre le cours des ordinations et de la vie du diocèse, chacun pourra tâtonner dans tous les sens avec la meilleure volonté du monde, cela ne donnera qu’un mouvement brownien sans rime ni raison – et il serait réellement miraculeux que l’une de ces tentatives obtienne par hasard la reprogrammation des ordinations !

Non, il n’est pas sérieux, il n’est pas décent, il n’est tout simplement pas possible, de condamner sans donner de motif de condamnation.

Je voudrais terminer en faisant remarquer que cette affaire illustre de manière sinistrement cocasse le mépris dans lequel sont tenus les enseignements les plus clairs et les moins discutés du concile Vatican II. Nous a-t-on assez seriné que « le » concile avait eu pour objet de rééquilibrer la charge épiscopale face à la charge pétrinienne ? Ah oui, on voit ! N’importe quel petit fonctionnaire de curie peut interdire à un évêque d’ordonner ses séminaristes. Effectivement, pour du rééquilibrage, c’est du rééquilibrage ! A ce sujet, je serais très curieux de savoir comment les confrères de Mgr Rey commentent cette affaire. Je me suis laissé dire que certains s’en félicitaient, mais ils feraient bien de se méfier : cela crée un très dangereux précédents. Dorénavant, au mépris du droit, il est possible de lier les pouvoirs épiscopaux sans monition, sans motif connu. Penser que notre Eglise a offert au monde entier la notion même de droit, transmettant le droit romain et le digérant pour bâtir le droit canonique, la notion d’enquête, la notion de droit de la défense, et tant d’autres, et qu’en son sein même, nous sommes revenus à des mœurs qui auraient fait rougir Sardanapale, c’est à pleurer !

De la même façon, on nous avait vanté la « nouvelle Pentecôte » qui allait nous faire réévangéliser le monde, clercs et laïcs fraternellement unis. Là aussi, on voit ! Je n’aurais pas la cruauté d’insister sur la « fraternité » que révèle cette affaire toulonnaise. Mais peut-on parler d’évangélisation dans l’Eglise de France ? Ne voit-on pas que ce qui se trouve indirectement visé par cette sanction qui n’ose même pas dire son nom, c’est précisément l’évangélisation des périphéries à laquelle nous invite le Pontife romain ? Le diocèse de Toulon était un laboratoire de la paix entre les différentes « forces vives » de l’Eglise pour les unir dans la commune mission. (A dire vrai, j’ai la désagréable impression que c’est précisément là que gît la raison profonde de cette sanction.) Mais, alors, qu’est-ce que cela signifie ? Que le pontificat actuel préfère la guerre liturgique à la paix et les crêpages de chignons à l’évangélisation ? Ce serait ridicule, mais avouez que l’on se perd en conjectures et que rien, dans cette affaire, n’est compréhensible.

Que peut-il se passer désormais ? L’idéal serait que le droit reprenne… ses droits et que l’on dise à Mgr Rey ce qu’il doit réformer dans son diocèse et dans son séminaire. Sur cette base claire, celui-ci pourrait s’atteler à ces réformes ou présenter sa démission. Nous pourrions alors passer à autre chose et notamment aux ordinations qui auraient dû avoir lieu fin juin. Inutile de dire que je n’y crois guère : par quel miracle obtiendrait-on en trois semaines ce que nous n’avons pas obtenu en plus de douze mois ? Une autre hypothèse, hélas plus vraisemblable, est que la situation continue de pourrir. Cela détruira à petit feu quelques dizaines de séminaristes, de nombreux prêtres du diocèse et l’évêque lui-même – mais cela ne semble pas inquiéter outre mesure les bureaux concernés. Cela conduira également à la fermeture du séminaire – je ne vois pas comment un séminaire privé de perspective d’ordination pourrait recruter ! J’insiste au passage sur le fait que l’hypothèse d’une démission de Mgr Rey, que certaines « belles âmes » commencent à agiter, serait une sous-hypothèse de ce lent pourrissement, puisque le seul antidote au pourrissement est la vérité et l’explication franche des réformes à apporter.
Bref, hormis l’hypothèse favorable à laquelle je ne crois guère, il y a fort à craindre que le diocèse de Toulon ne se remette pas avant longtemps de cette crise majeure. Mais, en ce cas, il serait bon que chaque acteur de cette ténébreuse affaire soit conscient que cela dépasse largement le cas de Toulon – et, plus le temps va passer, plus cela dépassera le cas de Toulon.

Tuer l’expérience toulonnaise aura d’énormes conséquences sur l’évangélisation en France – de la même façon, et symétriquement, que l’expérience toulonnaise avait eu d’énormes conséquences sur l’évangélisation en France (combien d’initiatives missionnaires ont-elles été testées « en petit » à Toulon avant de se développer « en grand » dans la France entière ?). Cela risque même fort d’avoir des conséquences sur les finances diocésaines : les fidèles les plus engagés sont déjà assez peu enclins à soutenir de leur denier du culte des associations marxistes-léninistes pseudo-chrétiennes ou la propagande LGBT dans des écoles « catholiques ». Ils sont moyennement enthousiastes pour les détournements d’héritage que constituent la vente de bâtiments pour payer les dettes des prédateurs sexuels. Que pensez-vous qu’ils vont faire quand il sera publiquement annoncé que l’Eglise de France dans son ensemble choisit de tourner le dos à la mission (pourtant plus urgente que jamais) pour revenir aux querelles dépassées des années 1970 ?

Je regrette, chers amis lecteurs, de devoir écrire ces lignes bien sombres mais, encore une fois, la vérité nous rendra libres et, si notre Eglise n’est pas le lieu même de la vérité et de la liberté, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Nous ne pouvons pas en être complices.

Cela dit, le pire n’est jamais certain et, si nous n’avons guère de poids pour aider à résoudre cette crise, nous pouvons, plus que jamais, prier pour que Dieu en permette une résolution rapide, que ces jeunes gens deviennent au plus vite ces saints prêtres dont nous avons tant besoin, et que des dizaines de tels laboratoires missionnaires germent partout en France. »

Guillaume de Thieulloy

Par Salon Beige le 8 juin 2023

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