Mgr Michel Aupetit : sur la bioéthique, « les évêques n’ont pas été entendus »
« Les évêques de France vont redire publiquement, ce lundi soir aux Bernardins, leurs positions sur la loi de révision des lois bioéthiques. Interrogé par Famille Chrétienne, l’archevêque regrette l’absence de réponses des décideurs, et estime « vraiment utile » de manifester.
L’intervention des évêques aux Bernardins, ce lundi soir, est-elle une réponse à l’interpellation du président Macron dans ces mêmes lieux en avril 2018 : « Ne restez pas au seuil » ?
Oui, bien sûr, puisque le président lui-même nous a incités à prendre la parole, en particulier sur ces sujets qui concernent l’ensemble de la société. En outre, si nous avons été écoutés, nous avons le sentiment que nous n’avons pas été entendus. Les États généraux, qui ont montré l’hostilité des participants à la procréation artificielle pour des personnes qui ne sont pas infertiles et qui font naître délibérément des enfants sans père, n’ont absolument pas été pris en compte. À quoi bon alors avoir consulté et formé des personnes dont l’avis est ainsi méprisé ? Les questions que nous avons posées n’ont pas reçu de réponses, alors que de très nombreux Français sont contre la mise en place légale d’une filiation sans père. Mais cela ne suscite aucune réaction des décideurs.
Aux yeux de l’Église, qu’est-ce qui est le plus grave dans ce projet de loi ?
J’espère que cette gravité n’est pas seulement reconnue par les seuls catholiques. La « PMA pour toutes » bouleverse la relation entre parents et enfants. Jusqu’à présent, c’est d’abord le lien corporel (ou charnel) qui fonde la filiation. Nous sommes fils ou fille de ceux qui nous ont engendrés dans la chair. Ceci est source d’une solidarité qu’on ne mesure pas suffisamment, car on prend soin de la chair de sa chair. Avec le projet de loi, on met en avant la seule volonté de ceux qui ont un projet d’enfant. L’enfant devient l’otage du bon vouloir tout-puissant de ceux qui se sont désignés comme ses parents. La différence avec les parents qui adoptent un enfant est que ces derniers n’ont pas voulu le priver de sa filiation charnelle. Priver volontairement un enfant de ses origines est un profond mépris du droit des enfants à connaître et à être élevés par leur père et leur mère comme le demande la Convention internationale des droits de l’enfant de l’ONU (article 7).
De plus, il y a un détournement de la médecine et de sa raison d’être qui est de soigner. Il s’agit seulement de faire droit à des désirs particuliers de personnes qui ne sont pas malades ni infertiles. Le médecin devient un technicien du désir, un prestataire de service. Il est indécent que la Sécurité sociale rembourse ce qui n’est pas un soin, alors que, par ailleurs, on supprime le remboursement de médicaments indispensables.
Pour les partisans de la « PMA pour toutes », l’altérité peut être assumée par un autre membre de la famille : un frère, un oncle, un ami… En quoi le père est-il irremplaçable ?
L’historien Michel Rouche a montré qu’il existait une forme ancienne de matriarcat où l’oncle tenait le rôle masculin. Il s’agissait de sociétés violentes où la relation entre l’enfant et sa mère était fusionnelle du fait de l’absence du père. L’introduction d’un tiers à l’origine de sa vie (le père) permet à l’enfant de se situer vis-à-vis de sa mère et d’acquérir son autonomie. Le projet de loi permettrait à un jeune de 18 ans élevé par deux femmes, dont une seule sera véritablement sa mère, de demander à lever l’anonymat du donneur et donc de connaître son père. Il lui serait interdit pourtant de demander la reconnaissance de cette filiation. Ne sommes-nous pas en pleine folie ?
Le texte libéralise encore davantage la recherche embryonnaire. Cela vous inquiète ?
Nous assistons à un véritable eugénisme. Depuis trente ans, on confie la conception de certains enfants à la technique médicale et nous nous sommes totalement habitués à l’élimination des embryons surnuméraires et à leur tri sélectif, eux qui sont pourtant des êtres humains semblables à nous. Le projet de loi prévoyait initialement la suppression de tous les embryons proposés à l’accueil antérieurement à la loi, soit 12 000 embryons supprimés. Mme la Ministre de la Santé, prenant conscience de la gravité de cette décision, a décidé d’attendre. Un embryon humain devient un matériau disponible et cela est proprement monstrueux. La technique a sa propre logique : qualité, efficacité et rentabilité. Il vaut mieux aujourd’hui être une larve de scarabée qu’un embryon humain. Il y a derrière ces projets, sous l’apparence fallacieuse du progrès, un marché de la procréation qui couvre des appétits financiers tout à fait scandaleux.
Auditionnés à l’Assemblée, des chercheurs estiment que les cellules souches embryonnaires, dérivées d’un embryon détruit il y a longtemps, ne poseraient plus les mêmes questions éthiques qu’un embryon…
La question éthique posée vient de la destruction de l’embryon. Que ce soit depuis longtemps ou plus récemment, il s’agit toujours d’un être humain vivant que l’on a tué, ce qui est d’une extrême gravité éthique. L’un de ces spécialistes auditionnés par la commission spéciale de l’Assemblée a reconnu : « On va certainement être amené dans les années à venir à souhaiter refabriquer de nouvelles lignées… en détruisant de nouveaux embryons. »
Une grande partie des catholiques attendent des évêques leur position vis-à-vis de la manifestation annoncée du 6 octobre. Défiler dans la rue, est-ce opportun ?
Tout le monde ne peut pas prendre la parole publiquement. Les évêques le font et souvent peuvent s’exprimer dans les médias. Ils sont reçus par les autorités devant lesquelles ils portent leurs préoccupations en s’appuyant sur des arguments fondés en raison pour pouvoir être écoutés. En revanche, la plupart des citoyens n’ont souvent pour seul moyen d’expression que la manifestation publique. Ils doivent pouvoir s’exprimer. Donc cette démarche est, non seulement licite, mais vraiment utile.
?
C’est une question d’espérance. Celui qui reste fidèle au Ressuscité n’est jamais vaincu. Même si la loi venait à passer, nous pourrons être fiers d’avoir contribué à la réflexion et au témoignage de la vérité. Nous ne nous mobilisons pas seulement pour l’immédiat, mais pour l’avenir, car la dignité de l’homme est inaliénable. L’Histoire montre que ce sont les résistants qui transforment le monde, la masse des moutons indifférents ou résignés ne change rien.
La voix de l’Église est-elle crédible, audible, au-delà du cercle habituel des catholiques, alors que la crise des abus sexuels est loin d’être réglée ?
Sur la question des abus, nous avons pris déjà depuis quelques années des mesures appropriées et validées par les autorités judiciaires de notre pays. La voix de l’Église est aussi celle de tous les fidèles et la meilleure manière d’être crédibles est de vivre ce que nous annonçons. Je crois que des chrétiens conséquents, qui intègrent l’Évangile dans leur vie et ne se conforment pas au monde, ont un impact considérable sur l’ensemble des citoyens en particulier si la joie qui les habite est perceptible.
À chaque loi, on a l’impression que les garde-fous reculent, et que l’Église est toujours sur la défensive. Comment inverser la vapeur, et ne plus subir ?
L’Église est toujours en avance quand elle prône le progrès éthique. Elle se réjouit des avancées techniques, mais demande que ses applications soient ordonnées au bien commun : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », disait déjà Rabelais. »
Antoine Pasquier Famille chrétienne
Site source :