Le jeûne du carême, une loi de liberté

samedi 29 février 2020
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Le jeûne du carême, une loi de liberté
Non, le carême n’est pas le ramadan des chrétiens !



Par Père Danziec
Publié le 28/02/2020 à 20:16

« Mercredi dernier était celui des cendres. L’imposition de ces dernières par le prêtre sur le front des fidèles marque le début du carême chez les catholiques. Le père Danziec saisit l’occasion pour rappeler les distinctions fondamentales entre le carême catholique et le ramadan dans l’islam.

Dans un collège privé de province, la catéchiste interroge les élèves présents au cours (non obligatoire) d’instruction religieuse : « Qu’est-ce que le carême ? », demande-t-elle. Une main hésitante se lève et la réponse incertaine d’un garçon aurait de quoi faire retourner dans leur tombe la cohorte des bons pères jésuites du siècle dernier. « Le carême, c’est pas un peu le ramadan des catholiques madame ? » Voilà donc l’ignorance crasse en matière religieuse à laquelle ont abouti cinquante ans de prédication hasardeuse et de logique d’enfouissement de l’Eglise de France. Non seulement, une quantité non-négligeable de personnes – de baptisés même – ignore aujourd’hui ce qu’est le carême, mais ils sont de plus en plus nombreux à le définir en référence à un islam plus visible, plus affirmatif et surtout plus que jamais décomplexé. Cependant cette croissance récurrente de l’islam en France, dont on aurait peine à ne pas voir le lien avec les flux migratoires, n’épuise pas à elle seule les raisons de cette situation.

Evidemment, n’y est pas pour rien aussi une certaine rupture de la transmission de la foi dans les familles de tradition chrétienne. Dans ces dernières, on continue bien-entendu de fêter Noël ou d’organiser dans le jardin familial une chasse aux œufs le dimanche de Pâques. Lorsque le grand-père décède, on tient à ce qu’il y ait un prêtre plutôt que des laïcs pour assurer la cérémonie. Mais du mystère de l’Incarnation, de la signification de la Rédemption ou des défis de la vie éternelle, depuis longtemps elles en ignorent le sens et la portée.

Le jeûne du carême, une loi de liberté

Le carême n’en reste pas moins l’une des périodes significatives pour les chrétiens de conviction, ces fameux “catholiques observants” comme les définit pertinemment Yann Raison du Cleuziou, dans son précieux ouvrage Qui sont les cathos aujourd’hui ? (Desclée de Brouwer, 2014). C’est dans ce contexte difficile en interne (avec la crise de la Foi) et compliqué à l’extérieur (absence de transcendance dans la société postmoderne conjuguée au développement de l’islam) qu’il devient un défi d’expliquer l’évidence : le carême ne saurait être considéré comme le ramadan des chrétiens. Un défi certes, mais une nécessité aussi. Les rigueurs de circonstance que s’imposent catholiques et musulmans en ces périodes ne sont pas seulement différentes dans leurs contours. Elles divergent également quant à leur but.

Dans le Coran, on peut lire que la prescription du jeûne durant le mois de Ramadan émane de Dieu Lui-même. Allah indique avec précision les modalités de ce jeûne : « Mangez et buvez jusqu’à ce que se distingue pour vous le fil blanc du fil noir, à l’aube. Ensuite, faites jeûne complet jusqu’à la nuit » (Coran 2, 187). A l’inverse chez les chrétiens, le jeûne du carême relève d’une loi de liberté. Invités à renoncer à des formes de conforts, à l’image des quarante jours du Christ passés dans le désert, les fidèles s’attachent à se dépouiller dans leur quotidien du superficiel au bénéfice de l’essentiel : Dieu, leur âme et leur prochain.

Police des poubelles et goûters piétinés

Le chrétien est appelé à jeûner dans le secret et à se comporter aux yeux du monde comme s’il ne jeûnait pas « pour que ton jeûne soit connu, non des hommes, mais de ton Père qui est là dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret te le rendra » (Mt 6, 16-18). A l’inverse, le Ramadan, dans les quartiers de villes françaises à forte concentration islamique, s’accompagne d’une surveillance étroite de chaque musulman dans la “communauté des croyants”. Xavier Lemoine, courageux maire de Montfermeil, rapportait son expérience du ramadan dans sa ville. Lors d’une conférence, il évoquait la police des poubelles effectuée entre voisins pour s’enquérir de la stricte observance des prescriptions coraniques dans le quartier ou le piétinement des goûters des élèves chrétiens ou sans confession par les élèves musulmans dans les cours d’école de sa ville.
Lors du Ramadan, dès le coucher du soleil, tous les interdits cessent pour le musulman. Pour le chrétien il s’agit de faire œuvre de sacrifices discrets et de renoncements joyeux. De s’exercer patiemment à toutes les privations que sa conscience lui indique devant Dieu : l’alimentation, les écrans, tel ou tel plaisir anodin. Cette grande retraite annuelle des fidèles vise à renouveler les cœurs, par un soin plus diligent porté à la vie de prière et au travail des vertus de patience ou de générosité.

« Si rien n’est sacrifié, rien n’est obtenu » : la leçon du carême

Comme le souligne Annie Laurent, docteur d’État et spécialiste du Moyen-Orient, alors que dans le Ramadan l’accent est mis sur l’exercice de la volonté et l’obéissance à Dieu qui en a commandé l’observance, le carême est une réalité avant tout spirituelle et personnelle. Le ramadan relève d’un pilier, d’un ordre dépourvu de toute signification autre que la soumission (qui est le sens même du mot « islam »), tandis que le carême relève d’une période de combat. D’un combat purificateur pour l’âme qui rappelle la haute valeur du sacrifice offert gratuitement. Il n’est en rien une période ascétique ou méritoire où l’on pourrait néanmoins compenser le soir ce dont on s’est privé durant la journée. Par un acte d’humilité de l’âme, le chrétien est prié de se souvenir de son état de pécheur et de sa vulnérabilité aux tentations.
Pour Hélie de Saint-Marc « si rien n’est sacrifié, rien n’est obtenu ». La leçon chrétienne du carême est de cette veine. Dans la société du moindre effort, elle a même la valeur d’une leçon de survie. »

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