Notre Dame ne peut pas mourir
« Le Puy du Fou, le 7 juin prochain, va dédier une soirée spéciale à la souscription nationale pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris. Pour Famille Chrétienne, Philippe de Villiers revient sur le sens de cette nuit tragique.
Pour vous, que représente à titre personnel Notre-Dame de Paris ?
J’y ai passé des heures de recueillement et d’observation. J’essayais toujours de retrouver le pilier de Paul Claudel. Pour moi, c’est vraiment l’accord parfait du burin sur la pierre et du souffle de l’esprit.
Que retenez-vous de cette nuit tragique ?
Cette nuit fut à la fois tragique, en effet, mais aussi allégorique. Au fil des nouvelles qui étaient égrainées en face de la cathédrale en proie aux flammes, nous avons vécu deux temps. Le premier temps, celui de la prostration, au cours duquel nous pensions voir les tours s’écrouler, puis la toiture, la clef de voute, et enfin le chœur. Nous n’avions pas de nouvelles de la Couronne d’épines. Nous pensions ne rien retrouver. Et pendant tout ce temps, face à la cathédrale, des gens anonymes priaient. Il y avait aussi des errants de la post mémoire, qui, tout à coup, retrouvaient leurs enfances.
A l’aube, est venu le deuxième temps, celui de l’éveil, de l’espérance, une sorte de miracle dans le malheur. On entendait partout cette phrase « La structure a tenu », les tours ne sont pas tombées, la couronne d’épines et la tunique de saint Louis ont été sauvées, tout comme le grand orgue. Les dégâts ont été moins importants qu’on ne le craignait. En d’autres termes, Notre Dame est la patronne de la France, elle en est le cœur, Notre Dame n’est pas morte. Notre Dame veillait sur Notre Dame ! La France s’est réveillée ce matin avec une humeur que je dirais comparable à celle des pieux ouvriers qui ont usé leur vie sur ce chantier. Ces chevaliers tailleurs qui ont adoubé la pierre, l’ont anoblie et spiritualisée. A l’aube nous avons pris symboliquement le relais de tous ces hommes. Chacun disait ce matin : « nous sommes tous des bâtisseurs, Notre Dame ne peut pas mourir ».
Cette émotion nationale semble éloignée de notre climat sécularisé
Oui, c’est très étrange, et c’est comme un miracle français. Une phrase de Proust me revient : « les cathédrales ne sont pas seulement les plus beaux ornements de notre art, mais les seuls qui vivent encore leur vie intégrale, qui soient restés en rapport avec le but pour lequel ils furent construits ». Aujourd’hui, quand on croise les errants, les chasseurs d’images, les curieux qui foulent la dalle de Notre-Dame de Paris, on voit une foule insouciante qui tourne sur elle-même et qui a le regard vide. Nous sommes en post-modernité. Les rosaces, les vitraux sont transparents et les statues restent pour ces gens des paraboles énigmatiques. Cette foule a perdu les clefs pour comprendre. Elle est à la fois admirative et hagarde. Cette foule qui n’avait plus les moyens de comprendre le sens d’une cathédrale a tout compris dans les flammes qui la dévoraient. Quand la flèche est tombée, c’est comme si elle avait transpercé tous les cœurs ! Il y avait en France une atmosphère très spéciale cette nuit. Par-delà tous les clivages, cette atmosphère nous a rappelé nos racines. Dans les grandes épreuves, la France retourne toujours à Notre-Dame de Paris et à ses origines. L’histoire vivante de la France s’est toujours frayé un chemin à Notre-Dame parce qu’elle a toujours été à l’unisson de nos tristesses et de nos joies.
Pourquoi les Français sont-ils touchés par cette catastrophe ?
L’instrument qui appelle les âmes, c’est le bourdon Emmanuel - qui pèse 13 tonnes. Il est resté silencieux cette nuit mais il est toujours intact. En France, on fait comme les aïeux… Quand ça va bien, on va au bistrot et quand ça va mal on va à Notre-Dame… Et quand ça va très mal on va mettre un cierge ! Je rappelle que le 10 mai 1940 le pays roule à l’abime et Paul Reynaud s’écrie : « S’il faut un miracle, je crois au miracle ! » En fait, ils vont tous à Notre-Dame. Cette nuit, tout le monde s’est pressé autour d’elle.
En quoi cet événement, survenu en pleine semaine sainte, est-il un signe ?
Pour moi, c’est un signe qui veut dire que la France peut mourir ; le pays peut s’embraser et devenir une terre de cendres comme le lit d’agonie de saint Louis. Ce roi est allé chercher la couronne d’épines à Sens à pieds. Il a dit dans Notre-Dame : « J’échange ma couronne royale contre une couronne d’épines… ». L’autre signe, c’est que Notre-Dame veille sur la France. Notre-Dame nous dit à l’oreille que la structure est intacte. Il faut redevenir des bâtisseurs, sortez de votre torpeur ! »
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