Rencontre de quatre parlementaires français
avec le Président syrien
avec le Président syrien
« La rencontre à Damas de quatre parlementaires français avec Bachar el-Assad fait polémique. Que cela vous inspire-t-il ?
Renaud Girard : C’est une initiative qui répond à une visite de trois députés syriens l’année dernière à l’Assemblée nationale. Cette visite avait été organisée par un Syrien chrétien d’Alep qui pour l’anecdote était le fils du chef du comité gaulliste en Syrie en 1940 à Alep. Ils ont eu raison de faire ce voyage, ne serait-ce que pour se rendre compte de l’état de la route entre la frontière libanaise et Damas, de l’état de la capitale. Il faut bien comprendre que la diplomatie ne se fait pas avec ses amis. C’est l’art de parler à ses adversaires ou à ses rivaux. On peut reprocher beaucoup de choses à Bachar el-Assad, mais ce n’est pas une raison pour ne pas lui parler. Car Bachar el-Assad incarne la Syrie : il n’incarne certainement pas 95% de la population, mais rien ne prouve qu’en cas d’élection réellement libre, il n’emporterait pas la majorité. Il a suscité une opposition considérable dans le monde sunnite contre lui, mais y conserve, malgré tout, des alliés : sa femme est sunnite, de même que son chef du renseignement intérieur. Par ailleurs, il a toutes les minorités, chrétiennes, druzes, alaouites, kurdes en sa faveur.
Est-ce vraiment le rôle des parlementaires de discuter avec des dictateurs étrangers ?
Je suis pour la liberté des députés. Lorsque la politique étrangère est mauvaise, ce qui est le cas, pourquoi ne pas essayer d’autres pistes. Les députés, comme les journalistes d’ailleurs, ont le devoir de critiquer les dirigeants.
Cela a déclenché la colère du gouvernement français ...
Nicolas Sarkozy et Alain Juppé ont fait l’énorme erreur de fermer l’ambassade, qui était pour nous la place où nous pouvions parler au régime et surtout obtenir des renseignements. Le gouvernement français par la voix de Laurent Fabius traite la Syrie comme si elle était l’ennemie de la France. Bachar el-Assad n’est pas l’ennemi de la France. Il n’a jamais pris un Français en otage. Son père, Hafez el-Assad, qu’affectionnait François Mitterrand, que Laurent Fabius a servi, a fait assassiner notre ambassadeur de Beyrouth, Louis Delamare. Cela aurait pu être considéré comme un motif de guerre. Ce n’a pas été le cas et Laurent Fabius n’a rien dit à ce sujet. Lorsqu’Hafez el-Assad a bombardé les chrétiens en avril 1989 à Beyrouth, la France aurait pu venir en aide à ces civils instruits par des soeurs qui leur faisaient chanter : « notre mère la France ». Cela n’a pas était fait. Pire à la conférence de Taëf en Arabie saoudite, toujours en 1989, nous avons donné le Liban en esclavage à la Syrie. Laurent Fabius qui était président de l’Assemblée nationale à l’époque n’a pas protesté. Bachar el-Assad, lui, ne s’est jamais attaqué aux intérêts français. Au contraire, il a une épouse francophone et francophile et il a ré-ouvert le lycée français Charles de Gaulle à Damas.
En ce qui concerne Bachard el-Assad, la position française est intenable car elle ne prend pas en compte la notion d’ennemi principal. Notre devoir est d’aller tuer les gens qui viennent devant nos écoles pour assassiner nos enfants.
Manuel Valls voit Bachar el-Assad comme un boucher. La réal-politique autorise-t-elle vraiment tout ?
Est-ce que Bachar el-Assad aurait pu, en mars 2011, éviter ce bain de sang, faire des concessions politiques, c’est possible, pas certain. On peut lui faire légitimement reproche de ne pas avoir réellement tenté une ouverture politique et d’avoir trop rapidement recours à la répression armée. Cependant, nous nous sommes beaucoup trompés. Nous avons cru qu’il était beaucoup plus faible qu’il ne l’était. Deuxièmement, nous avons même songé à l’été 2013 à lui faire la guerre. Face à cette politique de Laurent Fabius, je dis attention. Pour qu’une telle action contre un dictateur puisse réussir, il faut quatre conditions préalables :
La première condition est l’accord du Conseil de sécurité des Nations Unies. Cette organisation a été suffisamment difficile à édifier pour la renier, car elle est tout de même utile. Nous y avons un pouvoir supérieur à notre poids démographique ou économique.
Deuxièmement, il faut être sûr de pouvoir le remplacer, d’avoir une vraie solution alternative. Nous avons remplacé le général Kadhafi par les amis de Bernard-Henri Lévy. Cela n’a pas marché et nous sommes face à un désordre total.
Troisièmement, il faut être sûr d’améliorer la condition des populations qu’on prétend aider par notre intervention. Par exemple, la situation des populations irakiennes ne s’est pas améliorée après la chute de Saddam Hussein, mais détériorée. Il faut se souvenir que si Bachar el-Assad n’a pas donné la liberté politique à sa population, il a au moins maintenu en Syrie la liberté religieuse. L’interventionnisme occidental en Irak a contribué à la suppression de la liberté religieuse dans ce pays où les chrétiens sont désormais persécutés. De même pour la Libye.
La quatrième condition est de préserver les intérêts de la France. En Libye, le général Kadhafi, nous offrait plusieurs avantages, dont celui de pourchasser les islamistes et d’empêcher les trafiquants d’êtres humains d’atteindre la méditerranée. Des hommes politiques comme Alain Juppé, Nicolas Sarkozy ou Laurent Fabius devraient prendre en compte les intérêts à long terme du pays qu’ils servent. En ce qui concerne Bachar el-Assad, la position française est intenable car elle ne prend pas en compte la notion d’ennemi principal. Notre devoir est d’aller tuer les gens qui viennent devant nos écoles pour assassiner nos enfants. Notre devoir est d’aller tuer les gens qui nous obligent à mettre des hommes en armes devant chaque écoles juives, chose qui n’a pas été faite depuis 1791, date de l’intégration de la communauté juive dans la nation, parfaitement intégrée depuis ».
Renaud Girard est grand reporter international au Figaro. Il a couvert les grands conflits des trente dernières années. Il est notamment l’auteur d’un ouvrage sur les guerres au Moyen-Orient, Pourquoi Ils se battent (Flammarion, 2006), sur son expérience de l’Afghanistan (Retour à Peshawar, Grasset, 2010) et son dernier ouvrage, Le Monde en marche, a été publié en 2014 aux éditions CNRS.