François Huguenin : « Notre histoire est inséparable du catholicisme »
(source : le Figaro)
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - A l’occasion de la parution de son ouvrage « Les grandes figures catholiques de France », François Huguenin a accordé un entretien fleuve au FigaroVox. Pour l’historien, le catholicisme a encore beaucoup à apporter à notre monde.
François Huguenin, historien des idées et essayiste est l’auteur d’une Histoire intellectuelle des droites (éd. Tempus, 2013) et dernièrement Les grandes figures catholiques de France (éd. Perrin, 2016).
FIGAROVOX. - Pourquoi écrire un livre sur les grandes figures catholiques aujourd’hui ? Que disent-elles de la France contemporaine ?
François HUGUENIN. - Il me semble que nous avons oublié notre histoire. Qu’à l’enseignement de celle-ci s’est substitué un mélange de reconstruction idéologique et de mépris pour le passé. Or, sans conscience de notre passé, nous ne pouvons ni habiter le présent ni envisager l’avenir. Si nous retrouvons le fil perdu de notre histoire, nous pourrons voir combien elle est inséparable du christianisme, et notamment du catholicisme. Ces quinze figures catholiques, quels que soient leurs différences, ont toutes en commun d’avoir incarné à la fois la France et la foi catholique, d’avoir été de manière indissoluble des Français et des catholiques, d’avoir coloré la France de la foi catholique et le catholicisme de la réalité française : c’est notre héritage singulier que nul ne peut nous enlever.
Comment avez-vous choisi ces quinze figures ? Avez-vous une préférence pour l’une d’entre elles ?
Parmi ces figures catholiques, il y a les deux femmes, Jeanne d’Arc et Thérèse de Lisieux, dont la vie me bouleverse.
Elle se sont très vite imposées à moi avec une totale évidence. Je n’ai pas eu vraiment à réfléchir ou à rationaliser ce choix. Elles étaient là et j’ai tout simplement accueilli cette présence. Je ne peux en dégager une seule. Mais dans mon cœur, il y a les deux femmes, Jeanne d’Arc et Thérèse de Lisieux, dont la vie me bouleverse. Et puis Henri IV que j’ai l’impression de comprendre intimement. Et puis Richelieu et Pascal que je considère comme des génies du christianisme et de la France.
Vos portraits sont parfois en clair-obscur. On pense notamment à Louis XIV dont on connaît les frasques sexuelles, l’appétit de pouvoir sans limite, le goût pour la guerre. Tous vos personnages ne sont pas des saints. Certains font même des choix pas très catholiques. Pourquoi les avoir choisis malgré tout ?
L’hagiographie ne fait pas aimer les saints : les ensevelir sous la guimauve les dessert.
J’ai refusé toute hagiographie. D’abord parce que j’ai écrit ce livre en historien, avec un souci de vérité. Ensuite parce que l’hagiographie ne fait pas aimer les saints : les ensevelir sous la guimauve les dessert. Je voulais, sans prétendre lever le mystère qui recouvre chaque être humain, approcher au plus près de leur ressort intime, dans sa complexité et parfois ses contradictions. J’ai conçu ce livre d’abord comme une galerie de portraits car c’est l’homme qui m’intéresse et qui parfois me touche profondément. Alors bien sûr, ils ne sont pas tous des saints, et les saints eux-mêmes sont loin d’être parfaits. Mais cela n’empêche pas la profondeur de leur foi. C’est notamment le cas d’Henri IV ou de Louis XIV, en dépit de certains de leurs agissements.
Concernant les rois ou les chefs d’Etat, le catholicisme influence-t-il réellement leur politique ? En quoi ?
La foi donne à ces personnages une verticalité structurante.
Oui et parfois bien plus qu’on l’a dit. Par exemple, Richelieu est non seulement guidé par sa foi, mais aussi par son sacerdoce qui est déterminant dans son action, notamment dans son esprit de sacrifice. Mais bien évidemment, cette influence prend des formes diverses selon le contexte : ce n’est pas la même chose d’être roi d’un Etat catholique et dirigeant catholique d’un Etat laïque. Le plus important est pourtant ailleurs : la foi donne à ces personnages une verticalité structurante. La transcendance de la foi leur rappelle en permanence qu’il y a quelque chose qui les dépasse, qu’ils sont d’abord des serviteurs. Il y a donc comme un élément qui les tire vers le haut. Au moment où la classe politique semble avoir oublié la notion de bien commun, cette verticalité nous apparaît comme avoir été une garantie d’un certain désintéressement, d’un certain service en politique.
La France est la fille aînée de l’Eglise, mais les dirigeants français ont toujours été soucieux de leur indépendance et se sont parfois construits contre le contre-pouvoir que pouvait constituer l’Eglise. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Il y a dans l’ADN de la France un sens aigu de la contradiction, une forme d’ambivalence par rapport à l’autorité de l’Eglise qui fait partie intégrante de notre histoire. On ne peut le comprendre que si l’on se souvient que la France n’est pas une réalité géographique ni ethnique, mais une construction politique qui a dû lutter contre les ambitions impériales ou pontificales qui se voulaient universelles. Bien que foncièrement catholique, la France a pour exister imposé sa légitimité à ces superpuissances. La France est une volonté : une volonté s’oppose souvent…
Vous écrivez qu’en France le catholicisme a une légitimité particulière à faire entendre sa voix. Est-ce toujours vrai dans une France laïcisée ? Le catholicisme peut-il être une réponse au triomphe du consumérisme postmoderne ?
Je crois foncièrement, dans la lignée de Jean-Paul II, Benoît XVI et François que le catholicisme a beaucoup à apporter à notre monde, et en particulier à la France. Non pas pour imposer ses normes à la société, mais pour porter une parole que lui seul peut porter et qui réinsuffle dans le débat la notion de bien commun, celle de la dignité des personnes. Sur les questions éthiques de naissance et de fin de vie, mais aussi sur les défis écologiques, sur la pauvreté, le consumérisme, les migrants, le catholicisme a beaucoup à apporter. Dans un monde où l’homme est réduit au consommateur, où tout devient objet d’échange financier, où la mondialisation se fait au détriment des plus vulnérables, plus que jamais il peut donner des repères, aider au discernement. Le catholicisme a montré qu’il savait travailler au bien commun des sociétés dans lesquelles il est implanté. Il a la légitimité pour le faire.
« Le politique a aujourd’hui clairement besoin d’une nouvelle transcendance pour sortir de l’ornière », expliquez-vous. Ne craignez-vous pas que l’islam occupe se rôle comme Houellebecq l’a imaginé ?
Bien sûr que ce n’est plus un fantasme, mais c’est un risque. Les plus, jeunes, parce qu’ils ne sont pas devenus cyniques, et les plus pauvres parce qu’ils sont au bord du désespoir, sont la proie de l’islamisme. Ce sont d’ailleurs les mêmes que ceux qui cèdent aux sirènes des populismes producteurs de bouc-émissaires et de haine des autres. Il y a un tel vide dans la politique française que tout ce qui s’affirme avec radicalité peut devenir séduisant. La responsabilité historique des catholiques est de fait très lourde : s’ils mettent la lampe sous le boisseau, comme ils l’ont fait dans les décennies progressistes, où s’ils se replient sur la cathosphère comme on le voit de part et d’autre aujourd’hui, ils manqueront à leur mission d’être le sel de la terre, à l’appel de l’amour qui est incompatible avec une logique de dilution dans le monde ou de repli sur soi.
Votre livre s’ouvre avec Clovis et se referme avec de Gaulle. Une certaine idée de la France a-t-elle disparu avec ce dernier ?
Oui et avec Mitterrand qui est le dernier président à avoir eu conscience de s’inscrire dans une histoire qui a commencé avec l’aventure capétienne. Qu’elle se termine avec François Hollande est le cauchemar absolu de toute personne qui aime la France. Mais je pense profondément que la France n’est pas morte. Elle agonise, certes. Mais je crois aux petites renaissances, modestes et qui font boule de neige : recréer des solidarités, transformer nos modes de consommation, revitaliser l’amour simple de la patrie, en préférant ce qui nous unit à ce qui nous divise… les champs du possible sont infinis. Il faut avoir conscience du fait que la plupart de nos actes et de nos décisions ont un sens politique. La France se guérira avec la multiplication de ses initiatives d’en-bas. Les catholiques doivent occuper le terrain, non pour l’accaparer, mais pour y apporter leur contribution, si possible dans la joie »
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