Beaucoup de responsables publics semblent en fait ne pas concevoir d’autre réponse à l’islamisme violent que le renforcement d’un anti catholicisme primaire. C’est pour le moins une erreur d’appréciation sur notre culture et sur le cœur de l’homme
Le père Matthieu Rougé est curé de Saint-Ferdinand-des-Ternes à Paris et ancien responsable du service pastoral d’études politiques. Il est l’auteur de L’Église n’a pas dit son dernier mot. Petit traité d’antidéfaitisme catholique en 2014, aux éditions Robert Laffont.
« Des centaines de millions de chrétiens fêteront Noël vendredi. Quel sens peut avoir Noël dans une société occidentale déchristianisée ?
Matthieu Rougé : Pour tous va retentir l’annonce du prophète Isaïe : « le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande Lumière ». Avant d’être « déchristianisée », notre « société occidentale » demeure profondément marquée par ses racines bibliques et chrétiennes. En dépit de toutes les tentatives, dérisoires en fait, d’effacer le caractère propre de Noël, chacun s’apprête à célébrer - fût-ce sur un mode trop commercial - les enfants, la famille, la solidarité : autant d’expressions, atténuées certes mais bien réelles, du mystère de Noël. Par ailleurs, l’homme occidental, aussi sécularisé soit-il, demeure marqué par des questions essentielles sur la vie, l’amour, la mort, particulièrement vives en notre temps : c’est à la rencontre de ces questions cruciales que s’avance la lumière de Noël.
Et dans le reste du monde ?
Le monde entier célèbre Noël, c’est un événement en soi. La naissance d’un enfant, il y a plus de deux mille ans, dans une petite bourgade de la Palestine occupée par les Romains, dans une étable, fédère plus que jamais l’esprit de fête, de solidarité et de paix du monde entier. Les chrétiens de toutes confessions vont chanter dans toutes les langues de la terre les cantiques traditionnels de Noël, qui constituent en fait les véritables « tubes » de la culture même contemporaine. En Chine comme dans certains pays du Golfe, beaucoup de non-chrétiens célèbreront Noël, de façon allusive bien-sûr mais significative tout de même. Cette universalité de Noël dit quelque chose, pour les chrétiens, de l’universalité du salut proposé par le Christ et, pour tous, de l’espérance de paix qu’il offre au monde.
Beaucoup de responsables publics semblent en fait ne pas concevoir d’autre réponse à l’islamisme violent que le renforcement d’un anti catholicisme primaire.
Que penser de la polémique suscitée par le vade-mecum de l’association de l’Association des maires de France qui estimait en novembre dernier que « la présence de crèches de Noël dans l’enceinte des mairies [n’était] pas compatible avec la laïcité » ? On a l’impression que ce débat revient chaque année…
Il y a une dizaine d’années, on s’en était pris aux sapins de Noël. Mais certains esprits éclairés ayant expliqué qu’ils constituaient la rémanence de cultes druidiques, ils avaient perdu en quelques jours leur caractère attentatoire à la République ! Comme si le culte druidique, en tant que culte, était moins contraire à la laïcité que le culte chrétien… Beaucoup de responsables publics semblent en fait ne pas concevoir d’autre réponse à l’islamisme violent que le renforcement d’un anti catholicisme primaire. C’est pour le moins une erreur d’appréciation sur notre culture et sur le cœur de l’homme. Dans l’espace public, les crèches disent sur un mode accessible à tous, et qui n’est pas immédiatement confessionnel, la beauté de la vie et de l’accueil, réalités salutaires dans un temps de violence et d’exclusion. Dans le « vademecum » de l’AMF, il y a une recommandation encore plus choquante : la consigne stricte pour les élus de ne jamais manifester leur foi, par quelque geste que ce soit, dans le cadre public. En quoi la neutralité de l’Etat serait-elle remise en cause par le fait que certains élus soient sereinement et ouvertement croyants, à partir du moment où ils prennent soin de tous avec équité ? Une telle idéologie antireligieuse est en réalité d’une grande violence. J’ai célébré en novembre les obsèques d’un jeune homme assassiné au Bataclan. Le jour de son enterrement, le maire local, catholique mais très attentif aux différentes communautés religieuses de sa commune, a participé à l’émotion et à la prière de tous avec ferveur et simplicité. Pendant que nous chantions le Notre Père de tout notre cœur, je me suis dit : « faut-il avoir l’esprit épais et le cœur sec pour penser qu’il y aurait là une atteinte à la juste laïcité ».
Le pape a reçu la curie romaine pour son discours annuel, en la prévenant que « la réforme de l’Eglise ira de l’avant ». Quelle direction le pape souhaite-t-il emprunter pour réformer l’Eglise ?
Comme l’a rappelé le Pape François dans ce discours, l’Eglise vit dans un état de réforme permanente : « Ecclesia semper reformanda » disaient les anciens. Dans l’immédiat, il s’agit pour le Saint Père et ses plus proches collaborateurs de poursuivre un certain nombre de réorganisations de la Curie romaine et, pour toute l’Eglise, de vivre le grand Jubilé de la Miséricorde comme une occasion d’approfondissement spirituel et d’engagement renouvelé au service de l’Evangile. Dans l’histoire de l’Eglise, on voit bien qu’aucune réforme structurelle ne peut porter de fruit sans une réforme spirituelle, toujours première. C’est bien dans cette perspective que se situe le Pape François.
Les conditions de violence et d’oppression de la naissance de Jésus, l’imbroglio politico-militaire qui caractérisait alors la Terre Sainte, le mettent en prise immédiate avec ce que vivent aujourd’hui les chrétiens d’Orient.
A l’heure où les minorités chrétiennes d’Arabie saoudite, du Pakistan, de Turquie, d’Iran et d’Irak peuvent difficilement voire pas du tout pratiquer leur culte, ou bien sont persécutés en raison de leur religion, quel message leur transmettre au moment de Noël ?
Jésus est né dans une terre occupée par les armées romaines. Le roi Hérode, à la fois tyrannique et collaborateur avec l’occupant, s’en est immédiatement pris à sa vie. Ses parents, au moment même de sa naissance, avaient dû quitter leur ville pour satisfaire à la démesure de l’Empereur Auguste désireux de « recenser toute la terre ». Bref, les conditions de violence et d’oppression de la naissance de Jésus, l’imbroglio politico-militaire qui caractérisait alors la Terre Sainte, le mettent en prise immédiate avec ce que vivent aujourd’hui les chrétiens d’Orient. Le monde entier semble parfois les avoir abandonnés mais le Christ sera toujours auprès d’eux. Cela dit, les catholiques en France se sentent aujourd’hui très proches de leurs frères et sœurs d’Orient. Les célébrations de Noël seront une occasion, très largement saisie, de prière et de partage matériel avec ces communautés chrétiennes particulièrement éprouvées.
Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve a assuré que « tout sera fait pour que la sécurité soit garantie » durant les messes de Noël, « dans une coproduction entre l’Etat et les représentants des cultes. » Comment fait-on, quand on est curé de paroisse, pour célébrer au mieux Noël avec ce risque d’attentat que n’excluent pas les autorités ?
Voilà déjà plusieurs semaines que des mesures de sécurité sont prises grâce au dévouement des paroissiens et en bonne intelligence avec les forces de l’ordre. Il s’agit de faire preuve à la fois de vigilance et de sérénité. Cela dit, le sentiment qui domine aujourd’hui chez les fidèles n’est pas la peur mais un sentiment d’urgence : l’urgence d’accueillir ceux qui, dans le contexte actuel, viennent ou reviennent à l’église parce qu’ils ont soif de ressourcement ; l’urgence de partager l’espérance qui nous est offerte par la célébration de Noël ; l’urgence de contribuer à la paix du monde par l’amour de la vérité et la vérité de l’amour ».