Le mystère central du christianisme est l’incarnation
Charles Péguy
Charles Péguy
« Le mystère central du christianisme est l’incarnation. Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu, disent les Pères de l’Église. Tout mépris de la chair, toute détestation du temporel est une abomination, car c’est mépriser et détester la condition réelle que le Christ, Verbe de Dieu, a assumée pour la sauver. « Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a livré son Fils pour le sauver. »
Le génie et la grâce même de Péguy, c’est d’avoir compris cela. De s’être converti pour cela — qui est la seule raison qui vaille. De s’être converti par amour, souci brûlant, fièvre inquiète. Par amour pour le monde, le concret, la chair. De s’être converti pour la même raison que Dieu s’est incarné. De s’être converti par le même mouvement que Dieu a créé. Par amour. Un amour qui assume tout le réel. Un véritable chrétien est un amoureux. Un amoureux fou. Comme Péguy.
Charles Péguy, dreyfusard, socialiste, est venu au christianisme par Jeanne, Jeanne la sainte du peuple, de la patrie. Il est venu au Christ par le souci du peuple et l’amour du pays — pas d’un concept de peuple ou de pays, mais par amour et souci du peuple réel et du pays réel. Il est venu à Dieu pour de très bonnes raisons. Et toute son œuvre, tant poétique que polémique, est comme une défense et illustration, et une méditation, de ce mystère de l’incarnation. L’Esprit de Dieu conçoit en Marie, « une pauvre juive de Judée », et féconde son sein. « Le spirituel couche dans le lit de camp du temporel », dit brutalement le prosateur des Cahiers de la Quinzaine, mais aussi le poète du Porche du mystère de la deuxième vertu et d’Eve :
« Car le spirituel est lui-même charnel
Et l’arbre de la grâce est raciné profond
Et plonge dans le sol et cherche jusqu’au fond. »
Péguy reviendra sans cesse sur ce mystère central qu’il n’a cessé de méditer :
« C’est vraiment un grand mystère que cette sorte de ligature du temporel et du spirituel. On pourrait dire que c’est une sorte d’opération d’une mystérieuse greffe. Le temporel fournit la souche ; et si le spirituel veut vivre, s’il veut continuer, s’il veut fleurir, s’il veut fructifier, le spirituel est forcé de s’y insérer. »
Il insiste sur « ce besoin incroyable du temporel qui a été laissé au spirituel, cette incapacité absolue du spirituel de se passer du temporel. »
L’amour brûlant pour la totalité du réel existant assume toute l’humanité et toute son histoire. L’humanisme de Péguy est cet « humanisme intégral, humanisme de l’incarnation » dont parlera Jacques Maritain, autre grand converti de la même époque, et qui embrasse la totalité de l’univers.
Mais attention, l’humanisme de l’incarnation est un humanisme qui va jusqu’au bout, qui assume tout, et la souffrance et la mort. Le véritable ascétisme, la vraie révolution ascétique, plus profonde et totale que celle de Gandhi, réside pleinement dans cet humanisme de la croix :
« …tant de graisse, tant de mangeaille
Qui n’a pu être compensée
Que par l’effrayante, que par l’affreuse maigreur,
Que par le décharnement
De Jésus sur sa croix. »
Le christianisme, l’ « incarnationisme » pourrait-on dire, c’est la joie avec les larmes, l’émerveillement et la souffrance, comme le rappelle Maritain : « Le chrétien ne se console pas de la perte irréparable de la moindre réalité fugitive, d’un visage, d’un geste de la main, d’un acte de liberté ou d’un accord de musique, où passe un peu d’amour et de beauté. »
L’incarnation , « l’encharnement », le « racinement », conduisent le chrétien, icône du Christ, du Dieu fait chair, à assumer totalement le salut de l’ordre temporel. C’est là que réside le mystère de la charité. »
Sources :
Article paru initialement dans L’Homme nouveau.
aleteia Toute détestation du temporel est une abomination