Les sept moines trappistes de Tibhirine

samedi 11 juin 2016
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Les sept moines trappistes de Tibhirine
« Tu es là mon ami »



Déjà vingt ans que les sept moines de Tibhirine ont été assassinés en Algérie. À l’époque, l’annonce de la mort des sept trappistes avaient été accueillie avec une tristesse particulièrement aiguë dans la Drôme. À Aiguebelle, bien sûr, l’abbaye mère de Notre-Dame de l’Atlas, à Tibhirine. Mais aussi à Ancône, petit village en bordure du Rhône, voisin de Montélimar et distant d’une trentaine de kilomètres seulement d’Aiguebelle.

À Ancône, ont vécu les parents et Élisabeth, une sœur de Christophe Lebreton, le plus jeune des sept moines tués à Tibhirine en 1996. Il avait 45 ans. Aujourd’hui encore, y réside Élisabeth. Georgette Plan a croisé le religieux à plusieurs reprises lors de ses passages éclairs en Drôme provençale. « Le frère Christophe était un homme affable, souriant. Je me souviens de lui disant à sa maman qui lui tricotait un pull : “Attention, il doit pouvoir aller à tous mes frères de communauté” », se remémore la retraitée, membre du relais paroissial d’Ancône. Elle se souvient de « la peine » causée par l’annonce de la mort des trappistes « même si deux mois après leur enlèvement, nous avions peu d’espoir qu’ils soient retrouvés en vie ».

Alors, en 2000, quand le projet de rénover l’église Saint-Corneille-et-Saint-Cyprien est lancé, l’idée d’y évoquer le souvenir des moines est rapidement retenu. En 2003, un an après le début effectif des travaux, c’est une église profondément remaniée que découvrent les fidèles d’Ancône. Les murs ont été blanchis tandis que le profil des arcades et de la voûte au-dessus du chœur ont eux été peints en ton ocre. Certaines statues ayant été enlevées, l’église offre désormais au visiteur un recueillement monastique. De chaque côté de la nef centrale, des poèmes de frère Christophe, sous-prieur de Tibhirine, tracés en lettres rouges sur du plexiglas. Sur le pilier gauche encadrant le chœur, une inscription calligraphiée en lettres arabes suscite une interrogation qui trouve sa réponse sur le pilier opposé, à droite. Traduction : « Tu es là mon ami », le début d’un autre texte du religieux-poète. Enfin, en lettres majuscules sur le plafond du chœur un autre texte de frère Christophe : « Ami, tiens la table prête et belle, et ton regard sur le seuil, en silence éveillé ; pour être là… ».

Dans l’église d’Ancône, tout parle ainsi des sept frères de Tibhirine. « Mais nous n’aimons pas parler de mémorial », indique Georgette Plan. « Il s’agit plus de nous souvenir de leurs vies données qui les ont conduits à rester à Tibhirine parmi leurs voisins au lieu de partir se mettre à l’abri. » Discrètement, le chiffre 7 comme les sept existences des moines est présent dans l’église. L’autel voit un Christ déchiré la tôle dans un élan de résurrection. Autour de cette statue du XVIIe, sept croix discrètes comme « autant d’éclats de crucifixion », explique Georgette Plan. À gauche de l’autel, un chandelier à sept lumières fait mémoire à la fois de l’enracinement dans la foi juive et des frères. À droite, une flamme réalisée en bois de saule par le sculpteur François Perret. « Il était un ami du frère-prieur Christian de Chergé. En apprenant notre démarche, il nous a fait don de cette œuvre », explique Georgette.

Frères chrétiens en terre d’islam
Au cours de la restauration, les chrétiens d’Ancône ont découvert que l’hommage aux moines s’inscrivait dans la longue histoire de cette église du XIVe siècle : les saints Corneille et Cyprien sont morts assassinés, la cloche de l’église est dédiée à saint Christophe…

Élisabeth, la sœur encore en vie du frère Christophe, ne souhaite plus s’exprimer dans les médias. Néanmoins, avec Georgette, elle fait à la demande des visites de l’église. Elle écrit à destination des visiteurs : « Ancône était un village de bateliers, des gens faisant le lien d’une rive à l’autre. Aujourd’hui, ils nous invitent à être à notre tour des passeurs d’une culture à l’autre, d’une religion à l’autre ». C’est ce qu’étaient simplement les moines de Tibhrine, frères chrétiens en terre d’islam. Et c’est ce dont témoigne avec la même simplicité la petite église d’Ancône. »

Visites sur rendez-vous au 04 75 92 59 90

Site source :

aleteia

Testament spirituel du frère Christian

« QUAND UN A-DiEU S’ENVISAGE

S’il m’arrivait un jour – et ça pourrait être aujourd’hui – d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon Eglise, ma famille, se souviennent que ma vie était DONNEE à Dieu et à ce pays.

Qu’ils acceptent que le Maître unique de toute vie ne saurait être étranger à ce départ brutal. Qu’ils prient pour moi : comment serais-je trouvé digne d’une telle offrande ?

Qu’ils sachent associer cette mort à tant d’autres aussi violentes laissées dans l’indifférence de l’anonymat. Ma vie n’a pas plus de prix qu’une autre. Elle n’en a pas moins non plus. En tout cas, elle n’a pas l’innocence de l’enfance. J’ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde, et même de celui- là qui me frapperait aveuglément.

J’aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout coeur à qui m’aurait atteint.

Je ne saurais souhaiter une telle mort ; il me paraît important de le professer. Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre.

C’est trop cher payé ce qu’on appellera, peut- être, la « grâce du martyre » que de la devoir à un Algérien, quel qu’il soit, surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’islam. Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement. Je sais aussi les caricatures de l’islam qu’encourage un certain islamisme. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes.

L’Algérie et l’islam, pour moi, c’est autre chose, c’est un corps et une âme. Je l’ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j’en ai reçu, y retrouvant si souvent ce droit-fil conducteur de l’Évangile appris aux genoux de ma mère, ma toute première Eglise, précisément en Algérie, et, déjà, dans le respect des croyants musulmans. Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison à ceux qui m’ont rapidement traité de naïf, ou d’idéaliste : « Qu’il dise maintenant ce qu’il en pense ! »

Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité. Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec lui ses enfants de l’islam tels qu’il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de sa Passion, investis par le don de l’Esprit dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences.

Cette vie perdue, totalement mienne, et totalement leur, je rends grâce à Dieu qui semble l’avoir voulue tout entière pour cette JOIE-là, envers et malgré tout. Dans ce MERCI où tout est dit, désormais, de ma vie, je vous inclus bien sûr, amis d’hier et d’aujourd’hui, et vous, ô amis d’ici, aux côtés de ma mère et de mon père, de mes sours et de mes frères et des leurs, centuple accordé comme il était promis !
Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’aura pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi je le veux, ce MERCI, et cet « A-DIEU » envisagé de toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux. AMEN ! »

Incha Allah !

Alger, l décembre 1993.
Tibhirine. l janvier 1994.

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spiritualité 2000 Frère Christian de Chergé

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