« Panthéonisation, une spécificité française »...

mardi 9 juin 2015
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« Panthéonisation, une spécificité française »



Là où l’on veut honorer les grands hommes, par exemple en Angleterre ou en Pologne, on les enterre dans une église symbolique – Westminster ou la cathédrale du Wawel. On les place ainsi plus près de Dieu.

Mais dans un pays sans Dieu, il faut bien désigner des dieux. Ce sont les grands hommes du Panthéon français, qui rappelle tant la Rome païenne.

Il faut dire que le XIX° siècle, si hésitant quant à la conduite à tenir vis à vis de la religion, a tenu le bâtiment tantôt pour église catholique et tantôt comme temple païen. Pour terminer, il s’agit bien d’un temple païen, nanti de tous les frémissements du sacré (Entre ici, Jean Moulin…), et sacralisant des humains extraordinaires. Avec tout ce que cela suppose de voltes-face et de rétractations qui enlèvent du sérieux à la chose. Car les panthéonisations suivent les modes idéologiques – on fait entrer les cendres de Marat puis on les fait sortir, on fait entrer Mirabeau, puis sortir, à une époque où comme le dit Michelet, la France, "ayant tué les vivants, se mit à tuer les morts".

La panthéonisation officielle qui a cours en France marque la spécificité du pays et ses caractéristiques socio-politiques. D’une manière générale la démocratie est égalitaire et n’aime pas trop les modèles. La démocratie est fondée sur l’envie et non sur l’admiration. Pourtant la France, pays dans lequel l’envie vaut pour vertu, admire certains modèles avec affectation : ceux que l’Etat lui désigne.

Il faut préciser qu’il ne s’agit pas de héros, mais de grands hommes, et finalement, de saints à la mode laïque. Epoque oblige.

Nous n’acceptons plus les héros de la conquête, et de la grandeur en général. Bien sûr Pierre Brossolette et Geneviève De Gaulle sont des héros, mais au sens moral : ils se sacrifient pour des idéaux et pour une communauté, sans chercher par là aucune gloire personnelle ni aucune récompense mondaine. Ils agissent pour la seule éthique de conviction. Et c’est l’unique grandeur qui nous intéresse désormais. Nous voulons des saints laïques. Notre passion pour l’exclusivité morale a coloré aussi notre Panthéon. Panthéoniser ressemble de plus en plus à béatifier, voire à canoniser.

Que cette élévation soit rendue si officielle, et entourée de tant de pompes et de parades… c’est la France. Non seulement parce qu’elle aime les fastes, les trémolos et les dorures (nos gouvernants se comportent comme les élites d’une dictature bananière). Mais surtout parce que la France est bien davantage république que démocratie (elle parle sans arrêt d’égalité mais elle adore les privilèges et le sport national consiste à les arracher ; il nous faudrait une nuit du 4 août deux fois par siècles). Et la république est communauté, d’où la passion pour les modèles – les exempla latins. Aussi parce que dans un pays athée, les manifestations de la grandeur humaine prennent aussitôt un aspect religieux – on n’évince jamais le sacré, on le remplace et on le singe.

Il faut observer ce que ces quatre dernières panthéonisations traduisent en termes idéologiques. La deuxième guerre mondiale demeure l’unique événement porteur de sens. La lutte contre le nazisme, l’unique combat réellement légitime (on dirait toujours que rien ne s’est passé depuis). Les seuls résistants réellement valeureux, ceux que menaçait la Gestapo (les dissidents du communisme, qui ont risqué tout autant, ne récoltent pas d’auréoles). C‘est que dans la situation où nous sommes, où à la fois seule la morale compte à nos yeux et à la fois le Bien s’est évanoui, le nazisme est en tant que Mal absolu le seul référent moral commun à tous et indiscutable. Il est donc logique que les seuls vrais saints soient les résistants au nazisme.

Et il est par ailleurs assez réconfortant de constater que la République, après des périodes assez noires à cet égard, reconnaît à des femmes, aussi, de grands mérites portés au service du bien commun. Même si cette parité voulue a quelque chose de ridicule, comme toute action affirmative. Depuis les commencements le christianisme reconnait des saintes tout autant que des saints, elle ne pratique pas la parité ni la comptabilité des vertus, c’est plus raisonnable et plus authentique.

On ne peut que se féliciter de voir des exemples montrés aux regards. Pourtant l’habitude qui consiste à honorer des modèles désignés par l’Etat, nous ramène par trop à ces religions antiques, où l’accomplissement des rites sacrés était aussi un devoir civique. Aujourd’hui cette collision est moins innocente. Il faut vraiment se trouver dans la continuité de 93, pour penser que c’est le gouvernement qui désigne les saints.

Avec l’aimable autorisation de Valeurs actuelles, 4 juin 2015 »

Chantal Delsol
membre de l’Institut, professeur des universités

Source :

magistro


Les grands hommes du Panthéon français, qui rappelle tant la Rome païenne