Grandeur du catholicisme qui contrôle et limite strictement l’usage de la violence

lundi 1er août 2016
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Grandeur du catholicisme qui contrôle et limite strictement l’usage de la violence


Voilà comment la violence est contrôlée et strictement limitée par le catholicisme : appel à l’extirpation intérieure de toute forme de violence par la conversion du cœur et encadrement de l’usage de la force à des strictes fins de défense des plus faibles

« La violence est entrée dans le monde avec le péché, enseigne la Bible. Le premier meurtre de l’histoire humaine est celui d’Abel, victime de la jalousie de Caïn. Mais il n’est pas besoin d’être croyant pour faire l’expérience, en soi ou chez les autres, de cette violence nichée au cœur de l’homme depuis les origines de l’humanité. C’est un fait qui s’impose à tous.

En revanche, tout l’effort de la civilisation a consisté à endiguer la violence et, à défaut de pouvoir la supprimer, de tenter d’en contenir les effets. C’est d’abord la loi du Talion qui limite la vengeance privée à une riposte à l’identique : « œil pour œil, dent pour dent ! ». C’est ensuite la revendication pour l’Etat du monopole de la violence légitime, afin de se substituer au cercle infernal de la violence privée. C’est enfin, l’encadrement de la violence par l’Eglise qui limite le recours à l’usage de la force dans l’espace (la paix de Dieu) et le temps (la trêve de Dieu), et théorise avec Saint Thomas d’Aquin la juste guerre qui seule autorise le recours aux armes.

Couronnant le tout, le message du Christ – et plus encore l’exemple qu’Il a donné sur la Croix – montre que la violence est désarmée par celui-là même qui accepte d’en porter par amour tout le joug. Comme l’a montré René Girard, le christianisme brise le cercle vicieux de la violence mimétique car il propose non une riposte à l’identique (ce qui était déjà un progrès) mais une offrande de soi par amour pour la conversion des persécuteurs : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! ».

“Si un homme ne répond que de lui, il peut effectivement décider de tendre la joue gauche si on le frappe sur la droite. Mais s’il est responsable d’une famille, la légitime défense lui commande au contraire de défendre sa femme et ses enfants.”
Cela n’induit nullement un pacifisme qui désarmerait quiconque face à une situation de violence dont il est victime. Si un homme ne répond que de lui, il peut effectivement décider de tendre la joue gauche si on le frappe sur la droite. Mais s’il est responsable d’une famille, la légitime défense lui commande au contraire de défendre sa femme et ses enfants. Comme le souligne Fabrice Hadjadj, « l’homme, en étant époux et père, devient le défenseur de sa femme et de ses enfants : il peut bien tendre sa joue gauche à lui, mais il ne peut tendre leurs joues gauches à eux. Il a par conséquent le devoir, pour leur défense légitime, de prendre les armes ou, ce qui n’est pas moins courageux, de prendre l’enfant et sa mère et de fuir en Égypte ».

Voilà comment la violence est régie par le catholicisme : appel à l’extirpation intérieure de toute forme de violence par la conversion du cœur et encadrement de l’usage de la force à des strictes fins de défense des plus faibles. À aucun endroit, on ne trouvera de légitimation de la violence à des fins de domination religieuse ou de conversion. Pour la simple et bonne raison que la conversion recherchée est celle du cœur et non une adhésion formelle et extérieure. On rappellera à ce titre que les croisades furent d’abord une entreprise de légitime défense destinée à permettre aux pèlerins persécutés par les turcs seldjoukides d’accéder aux lieux saints de Jérusalem, notamment au Saint-Sépulcre.

Rien de tel en islam. La loi du Talion n’est même pas respectée puisque la riposte est souvent prônée au-delà du mal commis, comme c’est le cas de la main coupée en punition du vol (Coran, 5 38). Par ailleurs, l’exemple de Mahomet ne peut, à moins de travestir les faits, être comparé à celui du Christ. Enfin, le Coran, s’il contient des sourates pacifiques, contient aussi des appels au meurtre des non-musulmans qu’il est d’autant plus difficile d’extirper qu’aucun magistère universel n’existe comme dans le catholicisme, afin de livrer une interprétation qui fasse seule autorité pour l’ensemble des croyants.

“On ne peut renvoyer dos-à-dos christianisme et islam au sujet de la violence comme l’a fait hier le pape François dans un parallèle hasardeux.”

De courageux intellectuels de culture musulmane sont si convaincus de cette lacune qu’ils n’hésitent pas à brocarder ceux qui se contentent d’affirmer que la violence n’a rien à voir avec le Coran. Ainsi, en va-t-il d’Abdennour Bidar pour qui l’islamisme est un cancer qui prend ses racines au sein même de l’islam : « Tu refuses que les crimes de ce monstre soient commis en ton nom (hashtag #NotInMyName). Tu t’insurges que le monstre usurpe ton identité, et bien sûr tu as raison de le faire. Il est indispensable qu’à la face du monde tu proclames ainsi, haut et fort, que l’islam dénonce la barbarie. Mais c’est tout à fait insuffisant ! […] Ce problème est celui des racines du mal. D’où viennent les crimes de ce soi-disant « Etat islamique » ? Je vais te le dire, mon ami. Et cela ne va pas te faire plaisir, mais c’est mon devoir de philosophe. Les racines de ce mal qui te vole aujourd’hui ton visage sont en toi-même, le monstre est sorti de ton propre ventre – et il en surgira autant d’autres monstres pires encore que celui-ci tant que tu tarderas à admettre ta maladie, pour attaquer enfin cette racine du mal ! »

C’est pourquoi, on ne peut renvoyer dos-à-dos christianisme et islam au sujet de la violence comme l’a fait hier le pape François dans un parallèle hasardeux : « Je n’aime pas parler de violence islamique, parce qu’en feuilletant les journaux je vois tous les jours que des violences, même en Italie : celui-là qui tue sa fiancée, tel autre qui tue sa belle-mère, et un autre… et ce sont des catholiques baptisés, hein ! Ce sont des catholiques violents. Si je parle de violence islamique, je dois parler de violence catholique ».

“Mettre au même niveau la violence domestique et celle qui obéit aux injonctions de certaines sourates du Coran procède d’une profonde confusion intellectuelle.”

Mettre au même niveau la violence domestique et celle qui obéit aux injonctions de certaines sourates du Coran procède d’une profonde confusion intellectuelle. Il y aura toujours des hommes violents, et ce quelles que soient les civilisations. C’est la liberté personnelle de chacun qui est en jeu. Mais à aucun moment, ces actes de violence ne reçoivent, dans le catholicisme, une quelconque forme de légitimation religieuse par un texte ou une autorité sacrés. Ce n’est malheureusement pas le cas en islam et ce sont des penseurs musulmans qui parfois le dénoncent courageusement.

Ce serait donc du relativisme culturel que d’affirmer que toutes les civilisations et religions se valent de ce point de vue. Ne pas voir l’impact sur les mentalités de prescriptions violentes non régulées par une interprétation faisant autorité, c’est s’exposer à être aveugle sur la réelle nature de la menace qui nous entoure. Et ne pas rendre service aux musulmans engagés dans ce courageux travail de lucidité !

« Une chose est vraie, poursuit le pape, je crois qu’il y a presque toujours dans toutes les religions un petit groupe de fondamentalistes. Nous en avons ». Il faudrait interroger le pape pour savoir quels sont les « fondamentalistes catholiques » qui pourraient légitimement être comparés aux bourreaux de l’Etat islamique, quels sont ceux qui égorgent des imams dans une mosquée au nom de la foi chrétienne… La comparaison n’est pas du tout fondée car le seul « fondamentalisme » prôné par l’Eglise se trouve finalement être la radicalité de l’amour incarnée par les figures de sainteté qui ornent nos autels.

“Il est à craindre que ce genre de propos finisse par décrédibiliser la parole pontificale et donner de l’eau au moulin à tous ceux qui en Occident pratiquent le relativisme culturel et s’interdisent un quelconque jugement de valeur sur une religion ou une civilisation.”

Il est plutôt à craindre que ce genre de propos finisse par décrédibiliser la parole pontificale et donner de l’eau au moulin à tous ceux qui en Occident pratiquent le relativisme culturel et s’interdisent un quelconque jugement de valeur sur une religion ou une civilisation. Or, toute entreprise de renaissance intellectuelle et spirituelle ne peut s’affranchir d’un profond devoir de vérité qui oblige aujourd’hui tous ceux qui souhaitent lutter contre la barbarie islamiste. Sinon, ce sont les générations suivantes qui nous reprocheront ce coupable aveuglement. »

Benoît Dumoulin

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ndf

Le pape a déclaré que s’« il devait parler de violence islamique, alors il devait (aussi) parler de violence catholique ». Le philosophe Rémi Brague rappelle que les textes sacrés des deux religions ne justifient pas la violence de la même manière

« Le FigaroVox publie de nouveau cette tribune de Rémi Brague, parue le 24 mai dernier. Le philosophe, professeur émérite à la Sorbonne, était alors « perplexe » quand le pape relevait une similitude dans l’esprit de conquête de l’islam et du christianisme. Une perplexité qui fait écho aux propos tenus ce dimanche par le pape Français à propos de la violence islamique et de la violence catholique.
Rémi Brague est un philosophe français, spécialiste de la philosophie médiévale arabe et juive. Membre de l’Institut de France, il est professeur émérite de l’Université Panthéon-Sorbonne. Auteur de nombreux ouvrages, notammentEurope, la voie romaine (éd. Criterion, 1992, rééd. NRF, 1999), il a dernièrement publié Le Règne de l’homme : Genèse et échec du projet moderne (éd. Gallimard, 2015) et Où va l’histoire ? Entretiens avec Giulio Brotti (éd. Salvator, 2016).


Les déclarations publiques du pape François suscitent toujours l’intérêt. L’entretien accordé par le Souverain Pontife à deux journalistes de La Croix, publié dans ledit quotidien le 17 mai, contient ainsi une quantité de choses excellentes, et même réjouissantes. Par exemple, sa conception du rôle que le christianisme pourrait et devrait jouer envers les cultures, dont l’européenne, ou encore ses réflexions sur les causes de la crise migratoire et son traitement possible, enfin son amusante dénonciation du cléricalisme. Il y a là-dedans de quoi provoquer une réflexion approfondie, et l’on souhaite que nos décideurs en prennent de la graine.
D’autres points sont affaire de goût, et le mien ne coïncide pas toujours avec celui du Pape. Ainsi, nommer sur le même plan Maurice Blondel et Jean Guitton, et plus encore les deux jésuites Henri de Lubac et Michel de Certeau, me fait personnellement un peu sourire. Mais rien ne prouve que ce soit mon goût qui soit le bon…

« L’idée de conquête est inhérente à l’âme de l’islam, il est vrai. Mais on pourrait interpréter avec la même idée de conquête la fin de l’Évangile de Matthieu, où Jésus envoie ses disciples dans toutes les nations »
Pape François

En revanche, un passage suscite en moi une perplexité certaine, et c’est celui sur l’islam. Là aussi, il contient d’ailleurs de très bonnes choses, par exemple sur l’imprudence arrogante avec laquelle l’Occident a essayé d’imposer son régime politique à des régions mal préparées. Il est juste aussi de dire que la coexistence entre chrétiens et musulmans est possible, même si les exemples de l’Argentine, avec son 1,5% de musulmans, et surtout du Liban, doivent être pris avec prudence. Tant qu’il s’agit de faire vivre ensemble des personnes, qu’il est déjà maladroit de réduire à leur seule affiliation religieuse, on a le droit d’espérer et le devoir d’agir en ce sens.

L’entreprise devient plus difficile là où l’on compare non plus des personnes, mais des systèmes religieux considérés dans leurs documents normatifs. De ce point de vue, un passage des propos du pape François attire l’œil : « L’idée de conquête est inhérente à l’âme de l’islam, il est vrai. Mais on pourrait interpréter avec la même idée de conquête la fin de l’Évangile de Matthieu, où Jésus envoie ses disciples dans toutes les nations ». Voici le passage évoqué : « Allez donc, faites des disciples (“mathèteuein”, en grec) de toutes les nations, baptisant les gens (…), leur enseignant (“didaskein”) à observer tout ce que je vous ai commandé (Matthieu, 28, 19) ».

Le but du christianisme est la conversion des cœurs, par enseignement, non la prise du pouvoir

On peut appeler « conquête » la tâche de prêcher, d’enseigner et de baptiser. Il s’agit bien d’une mission universelle, proposant la foi à tout homme, à la différence de religions nationales comme le shintô. Le christianisme ressemble par là à l’islam, dont le prophète a été envoyé « aux rouges comme aux noirs ». Mais son but est la conversion des cœurs, par enseignement, non la prise du pouvoir. Les tentatives d’imposer la foi par la force, comme Charlemagne avec les Saxons, sont de monstrueuses perversions, moins interprétation que pur et simple contresens.
Le Coran ne contient pas d’équivalent de l’envoi en mission des disciples. Il se peut que les exhortations à tuer qu’on y lit n’aient qu’une portée circonstancielle, et l’on ignore les causes de l’expansion arabe du VIIe siècle. Reste que le mot de conquête n’est plus alors une métaphore et prend un sens plus concret, carrément militaire. Les deux recueils les plus autorisés (sahīh) attribuent à Mahomet cette déclaration (hadith), constamment citée depuis : « J’ai reçu l’ordre de combattre (qātala) les gens (nās) jusqu’à ce qu’ils attestent “Il n’y a de dieu qu’Allah et Muhammad est l’envoyé d’Allah”, accomplissent la prière et versent l’aumône (zakāt). S’ils le font, leur sang et leurs biens sont à l’abri de moi, sauf selon le droit de l’islam (bi-haqqi ’l-islām), et leur compte revient à Allah (hisābu-hum ‘alā ‘Llah) (Bukhari, Foi, 17 (25) ; Muslim, Foi, 8, [124] 32-[129] 36) ». J’ai reproduit l’arabe de passages obscurs. Pour le dernier, la récente traduction de Harkat Ahmed explique : « Quant à leur for intérieur, leur compte n’incombera qu’à Dieu (p. 62) ».

Un vaste examen de conscience est à l’œuvre chez bien des musulmans, en réaction aux horreurs de l’État islamique

Indication précieuse : il s’agit d’obtenir la confession verbale, les gestes de la prière et le versement de l’impôt. Non pas une conversion des cœurs, mais une soumission, sens du mot « islam » dans bien des récits sur la vie de Mahomet. L’adhésion sincère pourra et devra venir, mais elle n’est pas première. Nul ne peut la forcer, car « il n’y a pas de contrainte en religion (Coran, II, 256) ». Elle viendra quand la loi islamique sera en vigueur. Il sera alors dans l’intérêt des conquis de passer à la religion des conquérants. On voit que le mot « conquête » a un tout autre sens que pour le verset de Matthieu.

Pourquoi insister sur ces différences ? Un vaste examen de conscience est à l’œuvre chez bien des musulmans, en réaction aux horreurs de l’État islamique. Ce n’est pas en entretenant la confusion intellectuelle qu’on les aidera à se mettre au clair sur les sources textuelles et les origines historiques de leur religion. »

Site source :

le Figaro vox Rémi Brague Ne pas renvoyer dos à dos islam et christianisme